LE CLOPIDOGREL est une prodrogue métabolisée par le cytochrome P450 pour obtenir un métabolite actif. Il existe des variants génétiques de l’allèle 2C19 (CYP2C19) de ce cytochrome et les polymorphismes des gènes du CYP450 contribuent à la variabilité de réponse à cet antiagrégant plaquettaire. Ainsi, les humains peuvent porter deux, un ou aucun allèle CYP2C19 fonctionnel et sont alors définis pour les deux derniers types comme hétérozygotes ou homozygotes. L’allèle non fonctionnel est dénommé CYP2C19*2. Il a été démontré que, lorsqu’ils reçoivent du clopidogrel, les hétérozygotes et les homozygotes CYP2C19*2 produisent moins de métabolites actifs du clopidogrel, ont une plus grande réactivité plaquettaire que ceux ayant les deux allèles fonctionnels et que, probablement de ce fait, ils ont plus d’événements cardio-vasculaires. Ils sont qualifiés de résistants à l’action du clopidogrel.
Aux États-Unis, la Food and Drug Administration (FDA) a fait inscrire sur les boîtes de clopidogrel que la réponse à cette molécule pouvait être variable en fonction du génotype. Elle a proposé que, si un test génétique est en faveur d’une résistance au clopidogrel, une autre stratégie de traitement que le clopidogrel soit envisagée.
Par quoi remplacer la posologie de 75 mg/j de clopidogrel ?
Jessica Mega (Boston), qui a déjà effectué plusieurs travaux sur la relation entre le CYP450, la résistance au clopidogrel et la survenue d’événements cardio-vasculaires a présenté une étude dénommée ELEVATE-TIMI 56, publiée concomitamment dans le JAMA (1), dont le principe est d’évaluer l’effet de différentes doses quotidiennes de clopidogrel sur la réactivité plaquettaire en fonction du polymorphisme CYP2C19.
Bien qu’il existe des stratégies différentes, ne passant pas par le CYP2C19, comme l’utilisation du prasugrel ou du ticagrelor, J. Mega a voulu évaluer l’effet de l’augmentation des doses de clopidogrel jusqu’à 300 mg/j sur la réactivité plaquettaire de sujets génétiquement résistants au clopidogrel.
Cet essai a inclus 333 patients, enrôlés dans 32 centres nord-américains, ayant une maladie cardio-vasculaire et un traitement en cours par du clopidogrel à la posologie recommandée de 75 mg/j.
Tous ces patients ont eu un génotypage du CYP2C19 et une étude de l’activité plaquettaire. Ils ont ensuite été randomisés en fonction de leur statut génétique. Ceux porteurs de l’allèle CYP2C19*2 (hétérozygotes ou homozygotes) ont reçu pendant quatre périodes de 14 jours différentes des doses de clopidogrel : 75, 150, 225 ou 300 mg/j, les non porteurs ont reçu, selon le même schéma, 75 mg/j ou 150 mg/j. À la fin de chaque séquence, l’activité plaquettaire a été évaluée (par les tests VASP et VerifyNow) et les événements cardio-vasculaires et hémorragiques ont été comptabilisés.
Le critère primaire évalué était, dans chaque groupe, l’index de réactivité plaquettaire (IRP) déterminé par le VASP.
Parmi les 333 patients enrôlés, 247 n’étaient pas porteurs de l’allèle CYP2C19*2 (74 %), et 86 l’étaient, avec 80 hétérozygotes (24 %) et 6 homozygotes (2 %).
Avec la posologie standard de 75 mg/j de clopidogrel, tant les hétérozygotes que les homozygotes CYP2C19*2 avaient une réactivité plaquettaire sous traitement plus élevée que les non-porteurs (respectivement, 70,0 % et 86,6 % contre 57,5 % ; p ‹ 0,001 pour chaque comparaison).
Chez les sujets hétérozygotes, l’augmentation des doses quotidiennes de clopidogrel a permis de diminuer de façon dose dépendante la réactivité plaquettaire de 8 à 9 % en moyenne pour chaque augmentation de 75 mg/j. À la dose de 225 mg/j, la réactivité plaquettaire des patients hétérozygotes pour le CYP2C19*2 était devenue équivalente à celle des non-porteurs de l’allèle CYP2C19*2 traités par 75 mg/j de clopidogrel.
Chez les homozygotes, le taux de non-répondeurs au clopidogrel à 75 mg/j était de 80 % et n’a que modérément diminué en augmentant la dose : il atteignait encore 60 % sous 300 mg/j de clopidogrel.
Tripler la dose ou passer à une autre molécule ?
En évaluant différentes doses de clopidogrel, cette étude démontre pour la première fois que la dose de 225 mg/j chez les sujets ayant une perte de fonction de l’allèle CYP2C19 sous forme hétérozygote diminue la réactivité plaquettaire de façon équivalente à celle obtenue avec la dose de 75 mg/j chez les patients ayant les allèles CYP2C19 fonctionnels. Chez les homozygotes, même à la dose de 300 mg/j, plus de 60 % des patients gardent une réactivité plaquettaire élevée.
Ce travail suggère donc que, chez les patients résistants et hétérozygotes, la dose utile n’est pas le doublement de la dose usuelle, c’est-à-dire l’utilisation d’une stratégie reposant sur deux comprimés à 75 mg/j, mais l’utilisation d’au moins trois comprimés par jour. Il reste à juger du rapport bénéfice/risque de cette stratégie en clinique avant de la préconiser, l’étude n’ayant pas eu la puissance pour mettre en évidence des différences d’incidence d’événements ischémiques et/ou hémorragiques en fonction de la dose de clopidogrel dans les différents groupes.
Ce travail laisse entendre aussi que, chez les homozygotes, l’utilisation d’une autre molécule que le clopidogrel, c’est-à-dire l’utilisation du ticagrelor ou du prasugrel, semble une stratégie préférable.
Il faut noter que cette étude concerne l’utilisation de doses d’entretien de clopidogrel. Un essai préalable, publié en 2011 par Jean-Philippe Collet et coll. (Paris), et dénommé CLOVIS-2 (Clopidogrel and Response Variability Investigation Study 2), a montré quant à lui que chez les hétérozygotes, la dose de charge de 900 mg permettait d’obtenir une diminution de réactivité plaquettaire équivalente à la dose de charge de 300 mg utilisée chez les patients ayant leurs deux allèles fonctionnels (2). Dans cet essai, chez les homozygotes, même la dose de charge de 900 mg n’a pas été aussi efficace que la dose de 300 mg chez les patients ayant leurs deux allèles fonctionnels, indiquant là aussi que le choix d’une autre molécule que le clopidogrel est préférable chez ces patients.
Liens d’intérêts : honoraires pour conférence ou conseils pour les laboratoires : Abbott, AstraZeneca, BMS, Boehringer Ingelheim, IPSEN, Menarini, MSD, Novartis, Pfizer, Roche Diagnostics, sanofi-aventis France, Servier, Takeda.
(1) Mega JL, et al. JAMA 2011; 306(20): doi:10.1001/jama.2011.1703.
(2) Collet JP et al. JACC Cardiovasc Interv 2011; 4(4): 392-402.
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