Les toxidermies comptent parmi les manifestations les plus fréquentes de la iatrogénie médicamenteuse. Elles concernent 1 % des prises médicamenteuses. Les réactions cutanées sont bénignes dans 90 % des cas, mais certaines peuvent mettre en jeu le pronostic vital, comme le Drug reaction with eosinophilia and systemic symptoms (Dress), la pustulose exanthématique aiguë généralisée (PEAG) ou les nécrolyses épidermiques (syndromes de Stevens-Johnson ou de Lyell).
Un délai court n’exclut pas un Dress
Classiquement, le délai retenu pour imputer la réaction cutanée et/ou générale à un médicament était de deux à huit semaines. En réalité, une publication récente (1) montre l’existence de délais bien plus courts, parfois quelques jours, en particulier lorsqu’il s’agit de produits de contraste iodés (PCI) ou d’antibiotiques, les délais étant plus longs pour l’allopurinol ou les antiépileptiques. « Un délai inférieur à deux semaines entre la prise médicamenteuse et l’éruption ne doit pas faire récuser le diagnostic de Dress », insiste la Dr Saskia Oro, coordonnatrice du centre de référence des dermatoses bulleuses toxiques et toxidermies graves Toxibul, à l’hôpital Henri Mondor de Créteil.
Une étude multicentrique française présentée au congrès (2) a colligé la plus grande série de Dress (53 cas) chez des enfants. Ils étaient liés aux antibiotiques dans près de 60 % des cas, aux antiépileptiques dans 21 %, avec un délai de survenue moyen de 13 jours. On constatait aussi que le délai au diagnostic était en moyenne de cinq jours. Il existe, comme chez l’adulte, des formes graves, avec un risque d’atteinte multiviscérale − essentiellement le foie (80 %) −, mais aussi un risque de séquelles, rares, à type de maladie auto-immune. Le diagnostic doit être évoqué devant un exanthème cutané fébrile avec adénopathies chez un enfant récemment mis sous antibiotiques ou antiépileptiques.
De nouveaux allergènes
La liste des médicaments associés à la nécrolyse épidermique s’allonge au fil du temps. Une étude menée à partir de la base mondiale de pharmacovigilance de l’OMS (3) confirme la responsabilité de molécules classiquement connues comme à risque, comme les antiépileptiques, l’allopurinol, les AINS oxicams, les sulfamides antibactériens… mais signale aussi le risque lié à de nouveaux médicaments, comme le febuxostat ou de nouveaux antiépileptiques, et surtout un grand nombre de molécules utilisées en oncologie, des plus classiques aux plus récentes, parmi lesquelles les thérapies ciblées ou l’immunothérapie.
Produits de contraste iodés
Les toxidermies aux PCI sont de gravité variable mais peuvent engendrer des formes sévères. Elles ne sont pas toujours notifiées, du fait du délai relativement court avant la réaction cutanée. Une étude rétrospective française (4) a recensé tous les cas de Dress ou de PEAG liés aux PCI, hospitalisés et vus entre 2010 et 2020 par les membres du Fisard, le groupe toxidermie de la Société française de dermatologie. Pour ces 31 patients, le délai médian de survenue de la toxidermie après l’injection du PCI était de deux jours. « L’exploration allergologique, encore trop souvent négligée, est irremplaçable, à la fois pour rechercher les réactions croisées au sein d’une même classe de PCI et d’une classe à l’autre, et pour permettre d’identifier les produits contre-indiqués et ceux potentiellement utilisables, l’imagerie n’étant pas toujours réalisable sans PCI », explique la Dr Oro.
Une enquête allergologique complète
Avant toute prescription d’une molécule potentiellement à risque, le bilan complet recherche très activement les antécédents de réactions à certains médicaments. Comme le souligne une petite série sur des récidives d’érythème pigmenté fixe bulleux généralisé survenant chez les sujets âgés pour des médicaments d’usage courant comme les AINS, le paracétamol et la pénicilline, potentiellement mortels, elles auraient pu être évitées avec une enquête précise auprès du médecin traitant et de la famille si besoin (5).
On doit également s’intéresser au terrain − les réactions graves étant plus fréquentes par exemple chez les patients atteints de cancer ou du VIH − ainsi qu’à l’origine géographique, du fait de facteurs génétiques prédisposants comme les variantes HLA pour l’allopurinol et certains antiépileptiques. Le respect des bonnes pratiques impose d’instaurer certaines de ces molécules (lamotrigine par exemple) à dose progressive.
Toute réaction cutanée doit donner lieu, notamment si plusieurs médicaments sont suspects, à un bilan allergologique complet avec des patch-tests et, si adapté, des tests intradermiques avec lecture tardive pour préciser la contre-indication de certains médicaments et proposer des alternatives thérapeutiques.
(1) Soria A, Bernier C, Veyrac G. Drug reaction with eosinophilia and systemic symptoms may occur within 2 weeks of drug exposure: A retrospective study. J Am Acad Dermatol. 2020 Mar;82(3):606-11
(2) E Bedouelle et al. Drug reaction with eosinophilia and systemic symptoms (DRESS) : série de 53 cas pédiatriques français. JDP 2020, CO 024
(3) T Bettuzzi et al. Évolution du spectre des médicaments associés à la nécrolyse épidermique au cours du temps : étude de pharmacovigilance à partir des données de Vigibase. JDP 2020, CO 019
(4) H Assier et al. Toxidermies sévères aux produits de contrastes iodés : étude rétrospective française. JDP 2020, CO 020
(5) C Braesch. Récidive d’érythème pigmenté fixe bulleux généralisé chez le sujet âgé : un exemple d’erreur médicamenteuse grave évitable. JDP 2020, P 009
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