La collision Covid VIH

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Publié le 08/04/2022
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Si le Covid-19 a perturbé l’édition 2021 de la conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes (Croi), mettant le VIH au second plan, cette année, les efforts de recherche engagés sur la pandémie payent pour les deux virus, et des avancées notables peuvent être espérées, tant pour un futur vaccin que sur le plan thérapeutique. Explications du Pr Jean-Michel Molina (Paris), qui a modéré plusieurs sessions du congrès.
Les anticorps neutralisants sont une piste à la fois vaccinale et thérapeutique

Les anticorps neutralisants sont une piste à la fois vaccinale et thérapeutique
Crédit photo : phanie

Après un congrès 2021 phagocyté par la pandémie à Covid-19, l’édition 2022 de la conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes (Croi) a pu se recentrer sur le VIH. « On est désormais sur un congrès VIH/Covid-19, souligne d’entrée le Pr Jean-Michel Molina (Service des maladies infectieuses, CHU Saint-Louis et Lariboisière, Université de Paris). Si ces deux virus ne posent pas les mêmes problèmes de santé publique, ils soulèvent néanmoins les mêmes questions de pratique clinique. À savoir : comment éviter leur propagation, comment prévenir l’infection et comment prendre en charge et traiter les patients infectés. »

Leur cohabitation — chez un même hôte — pose en outre le problème de leur interaction, en particulier en termes d’émergence de variants du Covid-19 chez des sujets VIH+ immunodéprimés. Un sujet scruté à la loupe, on s’en doute. Enfin, l’énorme travail de recherche, tant fondamental que clinique, dédié au Covid-19, a ouvert de nouvelles pistes dans l’infection à VIH dont peut être un futur vaccin à ARNm.

Deux zoonoses mondialement répandues et interagissant

Le VIH, comme le Sars-CoV-2, sont deux virus n’ayant très longtemps infecté que des animaux. Si ces deux zoonoses ont des répartitions géographiques bien différentes, certains pays, comme l’Afrique du Sud, sont largement touchés par l’une et l’autre. Or, les personnes présentant une déficience immunitaire importante liée à l’infection VIH (faute d’accès suffisant aux antirétroviraux) sont à haut risque d’infection par le Covid-19. Et, en cas de co-infection, elles payent un lourd tribut à cette maladie, avec davantage de formes cliniques graves et de mortalité. C’est aussi probablement — on manque de données assez solides pour pouvoir l’affirmer clairement — les populations les plus susceptibles d’héberger de nouveaux variants du Covid-19, potentiellement dangereux.

Changement de cap dans la recherche sur les vaccins anti-VIH

Les tout premiers essais vaccinaux dans le VIH visaient à stimuler, assez classiquement, l’immunité humorale. Échec retentissant [lire aussi p. 29]. Forte de ce résultat négatif, la seconde génération de candidats vaccins s’est concentrée sur l’immunité cellulaire. Plutôt que d’éduquer des lymphocytes B (LB), éduquons donc des lymphocytes T (LT) et autres natural killers. Mais, en dépit des efforts et ressources importantes, comme l’illustrent encore des études présentées cette année à la Croi, cette stratégie ne fonctionne pas non plus. Et là, coup de théâtre. L’arrivée du Covid-19, suivie de peu des premiers vaccins à ARNm, a ouvert de nouvelles perspectives. Cette technique permettrait de transmettre le code génétique d’une protéine à une cellule LB, pour lui faire produire un anticorps spécifique.

Récemment, on s’est rendu compte que des personnes infectées depuis longtemps par le VIH avaient la capacité de produire des anticorps (Ac) neutralisants vis-à-vis du virus, qui pourraient donc être très intéressants pour le traitement et/ou la prévention du VIH chez d’autres patients. Il est maintenant possible de cloner les cellules B de ces patients qui produisent ces Ac neutralisants et, à partir de là, d’arriver à produire ces anticorps en grande quantité pour une utilisation chez l’humain. Par ailleurs, il semblerait aussi possible « d’éduquer » les LB d’une personne non infectée par le VIH pour le « forcer » à fabriquer ces Ac neutralisants, grâce à des stimulations antigéniques répétées (avec des vaccins ARNm par exemple) et faire ainsi en sorte que cette personne soit potentiellement protégée d’une infection par le VIH lors d’une exposition à risque.

La réalité est un peu plus complexe. Mais, globalement, il s’agit d’une nouvelle direction, prise aujourd’hui par plusieurs équipes travaillant sur les vaccins anti-VIH.

Les premiers taux de succès sont très variables. On peut néanmoins d’ores et déjà penser que la stratégie consistant à « primer » des LB naïfs in vivo, pour orienter leur maturation vers des LB sécrétant des Ac neutralisants anti-VIH est probablement une bonne idée, et pourrait représenter une nouvelle stratégie vaccinale. Les premières données présentées lors de cette édition de la Croi sont très encourageantes.

Mais les premiers essais cliniques, menés sur la base d’un seul anticorps neutralisant — choisi parmi ceux, nombreux, identifiés à ce jour — ont mis en évidence les limites de cette stratégie. En effet il y a un bémol. Le virus du Sida, plus encore que celui du Covid-19, est extrêmement variable. Il mute spontanément, et à grande vitesse. Du coup, un seul Ac neutralisant ne peut pas suffire à prévenir ou à traiter une infection par le VIH. Il faudra probablement utiliser des combinaisons d’Ac neutralisants.

Bref, on avance à grand pas, mais la route est encore longue… Les progrès liés à l’irruption du Covid-19 et aux énormes efforts de recherche menés sur ce nouveau virus ouvrent toutefois des pistes très prometteuses, tant dans la prévention que dans le traitement de l’infection à VIH.

Entretien avec le Pr Jean-Michel Molina (Service des maladies infectieuses, CHU Saint-Louis et Lariboisière, Université de Paris)

Pascale Solère

Source : Le Quotidien du médecin