À l’encontre d’une idée reçue

Le lit lesbien bouge encore

Par
Publié le 12/04/2018
lesbiennes

lesbiennes
Crédit photo : PHANIE

C’est au milieu des années 80, dans leur ouvrage American Couples, que Pepper Schwartz et Philip Blumstein développent la théorie du lesbian bed death (littéralement, « la mort du lit lesbien »). Reprise par la littérature scientifique dans les années 90, elle cristallise le concept d’« hypodésir sexuel » présent dans les discours sexologiques et les représentations sociales concernant la sexualité des femmes ayant des rapports sexuels avec des femmes (FSF) : elles seraient individuellement plus limitées dans leur répertoire de pratiques sexuelles et auraient moins de rapports que les autres. L’hypothèse de Coraline Delebarre, dans le cadre de son travail d’enquête, est que, s’il existe des spécificités de la sexualité entre femmes, les stratégies identitaires par autodéfinition de soi et la lesbophobie en sont des déterminants importants.

Cette psychologue-sexologue a réalisé, pour l’obtention du DIU d’études de la sexualité humaine à la faculté de Paris 5, une enquête quantitative, appelée SexoFSF, par questionnaire en ligne autoadministré. Il comprenait 97 questions à destination de femmes (cisgenres et transgenres) ayant déjà eu un rapport avec une femme, et au moins un dans les douze derniers mois. Parmi les 3 047 entrées enregistrées, 1 688 ont pu être exploitées.

Diversité d’autodéfinitions de soi

« Les femmes de notre échantillon vivent majoritairement en milieu urbain, sont plutôt jeunes et diplômées. Pourtant, leur niveau de revenu est plutôt faible, et leur taux de chômage plus élevé que dans la population féminine moyenne », indique Coraline Delebarre. 71 % des femmes interrogées se déclarent en couple avec une femme, et, parmi elles, 14 % se disent en couple ouvert (non monogame et « contractualisé » en ce sens).

Si les femmes se déclarent majoritairement lesbiennes (38 %) ou homosexuelles (22 %), on remarque une diversification des autodéfinitions de soi. « Des regroupements comportementaux sont possibles selon l’autodéfinition de soi, par exemple entre les femmes qui se déclarent homosexuelles ou lesbiennes, ou entre celles qui se disent “pan”, “queer” ou “gouines”. Ces dernières ont tendance à déclarer une entrée dans la sexualité plus précoce (notamment via la masturbation), et des pratiques plus diversifiées. Elles vivent plus souvent en couple ouvert que celles qui s’autodéfinissent comme homosexuelles ou lesbiennes », note Coraline Delebarre. Les femmes homosexuelles ou lesbiennes sont souvent plus âgées, ont des revenus plus importants, vivent plus souvent en milieu rural, sont plus souvent en couple, moins souvent en couple ouvert, et ont un niveau d’études moins élevé que les femmes qui se déclarent « pan », « queer » ou « gouines ».

Nombre de partenaires élevé

L’entrée dans la sexualité des FSF s’effectue majoritairement par la masturbation : 97,5 % des répondantes déclarent s’être déjà masturbées à un âge médian de 13 ans. La première relation sexuelle a eu lieu avec une femme pour près de la moitié d’entre elles. Le nombre de partenaires est élevé : 15,5 en moyenne, dont 8,2 femmes. « Cette diversité de partenaires féminines est plus marquée chez les femmes qui se déclarent “gouines”. Les répondantes ne semblent pas non plus limitées dans leur répertoire de pratiques », relève Coraline Delebarre. Les femmes interrogées ont une définition élargie du rapport sexuel, incluant les relations sans pénétration et sans sentiment amoureux. Près des trois quarts intègrent quatre pratiques ou plus à leur répertoire, la plus rapportée étant la pénétration vaginale (96 %) ; 44 % utilisent des sex toys pour la pénétration vaginale ou anale ; 59 % déclarent regarder des films pornographiques, en grande majorité seules et à des fins masturbatoires (94,7 %).

Inversement proportionnel à la durée de la relation

En couple, les durées des rapports sont importantes (plus de 30 minutes pour près des 3/4 des répondantes), mais « plus la relation dure, moins les rapports sont fréquents. Parmi les femmes en couple depuis moins d’un an, 63 % déclarent des relations sexuelles plus de deux fois par semaine. Chez celles en couple depuis plus de cinq ans, 49 % indiquent avoir moins d’un rapport par mois », précise Coraline Delebarre. Un tiers des femmes en couple affirment avoir connu une absence de sexualité pendant au moins trois mois consécutifs au cours des douze derniers mois. Pourtant, la plupart aimeraient que cela change, et avoir plus de relations sexuelles.

Communication de Coraline Delebarre

Hélia Hakimi-Prévot
En complément

Source : Le Quotidien du médecin: 9656