Désespoir du patriarcat

Virilité n’est pas masculinité !

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Publié le 12/04/2018
virilité

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Crédit photo : PHANIE

Le mot virilité tient son origine étymologique du terme latin vir, qui signifie « homme », mais désigne également l’excellence, la perfection. « La virilité est quelque chose que les parents inculquent souvent très tôt à leurs fils. L’expression “soit un homme, mon fils” illustre cette injonction de puissance masculine qui débute dès l’enfance », affirme le Dr Jean Peyranne, sexologue et professeur de sexoanalyse (1) à Toulouse. À travers l’histoire, l’importance des rites de passage du garçon à l’âge adulte en témoigne. Ainsi, dans la Rome antique, chez les patriciens, la fin de l’enfance (vers 16 ans) était marquée par une cérémonie importante, appelée « la prise de la toge virile », au cours de laquelle l’adolescent délaissait sa toge d’enfant (la robe prétexte) pour porter la toge blanche des adultes. Le jeune Romain, devenu homme (soldat, orateur, prêtre…), devait, très vite, prouver sa virilité en accomplissant un premier exploit. Dans l’Odyssée, Ulysse, prisonnier de Circé, devait prendre garde à ce que l’on ne lui enlève pas sa virilité. C’était le cas des castrats, qui étaient dépouillés de leur virilité afin de garder leur voix d’enfant.

L’angoisse de la performance

Être viril, c’est prendre le risque d’échouer. La première angoisse de l’homme. « En matière de sexualité, l’homme ne peut pas faire semblant », rappelle le Dr Peyranne. Il est donc vulnérable. Sa peur de l’impuissance est réelle. Les témoignages historiques de cette angoisse profonde abondent.

Lorsque Louis XIV, par exemple, a eu sa première panne sexuelle, il s’est évanoui. Non seulement parce qu’il a eu honte, mais, surtout, par peur que sa maîtresse aille raconter cet épisode à toute la Cour. Dans sa sexualité, l’homme a peur du regard de l’autre. Il doit témoigner en permanence de sa virilité, que ce soit avec l’amante ou devant les autres. Le mot témoin vient du latin testis, qui a donné testiculus, « testicule », témoin de la virilité. « Au-delà de l’angoisse de performance, l’obsession de la virilité n’est-elle pas la peur de l’effémination ? Homophobie et gynéphobie n’en sont-elles pas la conséquence ? », s’interroge le Dr Peyranne. 

Une position défensive

Dans l’ouvrage Histoire de la virilité (2), l’historien français Georges Vigarello estime que la Première Guerre mondiale marque le début d’une certaine dégénérescence de celle-ci. Le conflit a modifié la symbolique de la virilité, faisant passer l’homme d’une position debout, la fleur au fusil, à une position allongée, dans les tranchées. C’est alors que Suzanne Lenglen, la première Française à avoir gagné Wimbledon, déclare : « Je me suis entraînée à jouer comme les hommes ! » « N’y a-t-il pas là un début de changement des rôles qui précéderait un changement des genres ? », suggère le Dr Peyranne.

Autre date marquante : 1968, l’année d’une certaine remise en cause de la domination masculine qui voit aussi s’affirmer un désir d’égalité femme-homme, y compris dans le domaine sexuel. « À partir de là, on ne naît plus homme ou femme, on le devient en jouant son sexe : c’est le genre qui crée le sexe. En réponse à cette évolution, une virilité défensive se met en place chez l’homme d’aujourd’hui, sans cesse à la recherche de son pouvoir perdu », estime le Dr Peyranne.

Un monde sépare le pouvoir de la puissance, la virilité de la masculinité. Le pouvoir est teinté d’un désir de soumettre. « Le harcèlement sexuel, par exemple, est l’illustration parfaite d’un abus de pouvoir. Alors que la puissance témoigne d’une masculinité créatrice, d’une création fantasmatique, de la capacité à aimer, à étreindre, toujours dans la recherche de la beauté érotique. L’homme est l’effet de l’œuvre, écrivait Saint-John Perse. La vraie masculinité se retrouve dans l’œuvre sexuelle et l’acte d’amour », plaide le Dr Peyranne.

Xxxxxxxxxxxxxx Dr Jean Peyranne, spécialisé en sexoanalyse, consultant en sexologie au CHU de Toulouse et chargé de cours au DIU de sexologie de Toulouse 

(1) La sexoanalyse est une approche thérapeutique qui permet, notamment, de décoder l’origine d’un trouble sexuel en faisant travailler les patients sur leur imaginaire érotique, puis de leur faire prendre conscience de leur trouble et de les aider à transformer leur réalité

(2) Corbin (A.), Courtine (J.-J.) et Vigarello (G.) (dir.), Histoire de la virilité, 3 vol., Seuil, 2011-2015

Hélia Hakimi-Prévot

Source : Le Quotidien du médecin: 9656