Le système Dakiri

#  1 : Le fuyard

Publié le 05/09/2019
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Crédit photo : DR

La police était arrivée dans l’EHPAD et notait les témoignages du peu de personnes qui se souvenaient de l’événement. Deux agents restaient maintenant devant la porte de la chambre 111. Un policier m’interrogeait depuis une bonne dizaine de minutes.

— Je dirais… dans les un mètre soixante-dix, quelque chose comme ça. Plutôt carré.

— Ses vêtements ?

— Tous noirs : grosses chaussures, pantalon ample, sweat à capuche, gants…

— Son visage ?

— Pas vu.

— Il ne s’est pas tourné vers vous quand vous avez ouvert la porte ?

— Non, il était de dos, il est ressorti comme un bélier, tête baissée.

— Vous avez vu ce qu’il faisait à la patiente ?

— Oui… Enfin non. Oui et non quoi.

— Vous pouvez être plus clair, Madani ?

— Non, je ne sais vraiment pas ce qu’il faisait. J’ai juste eu le temps de voir du matériel informatique, une sorte de casque de réalité virtuelle, je crois. J’ai pas compris ce qu’il faisait.

Je n’ai pas parlé du câble. De peur de ne pas avoir bien vu, et qu’on se foute de moi. Déjà qu’on me considère comme le niais du service… Je ne m’en plains pas, hein, j’en joue ! L’autodérision c’est utile, ça fait rire les collègues et ça développe leur empathie. Mais de là à avouer avoir vu un truc aussi improbable… Je… En fait… C’est comme si je me devais de nous protéger, moi et cette dame, celle de la 111. Elle me rappelait beaucoup ma grand-mère. Elle me prenait souvent pour son petit fils, ça devait aider. Voilà, c’est ça : je ne voulais pas qu’on fasse d’elle une bête de foire.

Je suis allé la voir une fois que la police eut fini son enquête. Les agents devant la porte resteraient encore quelques jours, par précaution. Quand j’ai ouvert la porte, elle dormait paisiblement. Elle n’avait pas l’air d’avoir eu peur, ni d’avoir subi un quelconque choc. Je l’ai observée un moment. Aucune trace de contusions. Mon regard s’attarda sur sa tempe. Avais-je bien vu ce que j’avais vu ? Je commençais à douter…

Quand j’étais entré, l’intrus s’était empressé de ranger son matériel. Il avait retiré un casque de réalité virtuelle du visage de la patiente, et il avait retiré de sa tempe un câble qui semblait branché. Branché. Branché, bon sang ça n’a aucun sens ! Ensuite, il avait rangé le tout dans une sacoche d’ordinateur portable. Tout ça s’était passé en cinq secondes. Peut-être moins. J’avais à peine eu le temps d’ouvrir la bouche qu’il me fonçait dessus pour sortir de la chambre.

Branchée. Cela faisait deux années que Mme Dakiri était ici. Comment aurais-je pu louper un détail pareil sur la tempe de cette dame ? Je faisais sa toilette quasi quotidiennement. Je lui nettoyais le visage, les cheveux. Comment aurais-je pu louper un élément aussi… Intriguant ? En prenant soin de ne pas la réveiller, je passai ma main sur la tempe chevelue de ma patiente. « Que me cachez-vous ? » pensai-je. Je soulevai ses mèches sans rien voir qui puisse permettre de brancher quoi que ce soit. Je passai mon pouce sur la peau… Je sentis alors un espace bombé d’environ un centimètre de diamètre. Comme un bouton de moustique, en plus dur, plus solide. Ce n’était pas de la peau. Je m’approchai et découvris une sorte… de cache. Comme ceux qui couvrent les ports d’un appareil photo ou d’un téléphone portable, mais ici couleur chair. Je n’avais donc pas rêvé. Je passais mon ongle sous l’opercule qui se souleva dans un « pop » aigu. Incrédule, complètement sonné, je passai mon doigt sous ce que mes yeux communiquaient à mon cerveau inerte : un lecteur de disquette. Non, je plaisante. Nous étions tout de même en 2028 : un port USB-D.

Prochain épisode dans notre édition du 12 septembre

Jérémy Riou, régisseur lumière depuis une dizaine d’années, a eu l’occasion de travailler sur quelques 350 spectacles à Paris et en tournée à travers le monde. Comédiens, auteurs, théâtres et voyages l’ont inspiré pour la création de ses propres histoires. L’une de ses nouvelles a été adaptée en court-métrage et une autre est en cours d’adaptation.

Jérémy Riou

Source : Le Quotidien du médecin