Chaque matin, à l’heure de la toilette, mon regard fuyait vers cet opercule fixé à la tempe de Mme Dakiri. Quel genre de manipulation était-il possible de faire sur un cerveau doté d’un port USB-C ? Récolter des informations, éviter les IRM ? Et cet intrus que j’avais croisé, était-il une sorte de scientifique testant le cerveau de patients atteints d’Alzheimer ?
L’affaire était assez sérieuse pour que les policiers restent encore au moins une semaine de plus devant la chambre 111. La presse n’avait pas été mise au courant. C’est la réputation de l’EHPAD qui était en jeu. La direction était très claire : si l’info fuitait, nous risquions tous de nous retrouver au chômage en quelques jours.
Neuf heures. Je sortais du vestiaire.
— Des nouvelles de ton homme en noir, Madani ?
Julien m’avait aidé à courser le fuyard dans les couloirs jusqu’à ce qu’on perde sa trace.
— Non. Tu penses vraiment qu’on serait tenus au courant s’ils trouvaient un suspect ?
— Je pense. Au moins pour te montrer des photos, au cas où tu le reconnaisses.
Il s’éloigna. Je me dirigeais vers la chambre 111, saluait les agents et ouvrait la porte de Mme Dakiri. Une femme était assise près du lit, la main de la vieille femme posée dans la sienne. Ce n’était pas l’heure des visites, et je n’avais jamais vu ce visage, mais l’EHPAD était assez relax là-dessus, je ne m’en étonnais donc pas.
— Bonjour. Je suis Madani, aide-soignant.
— Iha. Iha Dakiri. Sa fille.
— Vraiment ? Je ne vous avais jamais vue.
— Possible. Je ne viens jamais le matin.
Elle était assez jeune. Vingt-cinq ans peut-être. Assez grande, massive. Pas corpulente, sportive, carrée. Une nageuse, peut-être. Elle portait une robe jaune et rouge, couleur d’été, qui dénotait avec de grosses chaussures noires, type rangers. Grosses chaussures noires… Je les avais déjà vues… Je mis de longues secondes à me rappeler où.
Je lui demandais de sortir un instant, le temps de faire la toilette de sa mère. Dès qu’elle fut sortie, je me dirigeai droit vers son sac à dos. Je l’ouvrais sans me poser de questions. Des vêtements noirs. Pantalon, sweat à capuche, gants. Mes soupçons étaient donc confirmés. Elle m’avait pourtant donné son véritable nom, Iha Dakiri : une pièce d’identité dans la poche de devant me le prouva. Mais aucune trace du matériel informatique. Je finis mon travail et sortis indiquer à la jeune femme que j’avais terminé. De retour dans la chambre, je refermai la porte et gardai la main sur la poignée. Je ne pouvais plus tenir :
— Qu’est-ce que vous lui faites ?
— Pardon ?
— Je sais qu’on s’est déjà croisés il y a deux semaines. Dites-moi ce que vous lui faites ou j’appelle les deux gentils monsieurs qui vous attendent derrière cette porte…
Ma main posée sur la poignée se crispa. Elle hésita de longues secondes et sortit soigneusement tout son matériel de la sacoche. Elle mit en route un ordinateur auquel elle brancha un câble. Elle souleva des mèches de sa tempe, ouvrit un opercule similaire à celui de sa mère et y inséra l’autre bout du câble. Enfin, elle vint poser le casque de réalité virtuelle sur mon crâne.
La chambre 111 apparut. Mme Dakiri, face à moi dans son lit, portait elle aussi un casque. Je me vis, moi, Madani, entrer dans la chambre. Je compris que la scène d’il y a 15 jours se rejouait à travers le casque… ou plutôt à travers les yeux d’Iha. Iha qui avait rangé son matériel, m’avait foncé dessus, était sortie et s’était précipitée se cacher dans une chambre. Iha me retira alors le casque. Je restais sans voix… Se rendait-elle compte du champ des possibles qu’elle offrait avec cette invention ?
Prochain épisode dans notre édition du 19 septembre
Jérémy Riou, régisseur lumière depuis une dizaine d’années, a eu l’occasion de travailler sur quelques 350 spectacles à Paris et en tournée à travers le monde. Comédiens, auteurs, théâtres et voyages l’ont inspiré pour la création de ses propres histoires. L’une de ses nouvelles a été adaptée en court-métrage et une autre est en cours d’adaptation.
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