— Vous avez été arrêté ?
— Absolument. Mais la direction de l’EHPAD ne porte pas plainte, au contraire.
Quelques mois plus tard, après de nombreux échanges entre neurologues, neurochirurgiens, scientifiques, et autres philosophes (l’affaire avait pris une ampleur mondiale après la révélation du système Dakiri), je fus réintégré, non plus à mon poste d’aide-soignant, mais en tant que co-dirigeant d’un tout nouveau service, le premier pôle de recherche de ce genre implanté dans un EHPAD, celui dans lequel vous vous trouvez actuellement : le PRAPS, Pôle de Rééducation d’Alzheimer Par Souvenirs.
« C’est donc ici que vous travaillerez. Vous aurez bien sûr l’occasion de rencontrer Iha, qui a pu développer une version en réalité augmentée de son programme. Il fallait que des interactions soient possibles dans la reconstitution des souvenirs, les principaux problèmes étant l’utilisation de protagonistes et la reconstitution de lieux parfois gigantesques.
« Aujourd’hui, le patient n’a qu’à entrer dans une pièce contenant les objets principaux liés à une éventuelle interaction. Nous l’équipons de lunettes de réalité augmentée, et les deux-cent-quatre-vingt-neuf capteurs situés dans l’ensemble de notre studio de cinq cents mètres carrés prennent la main.
— C’est là que nous entrons en jeu, j’imagine ?
— Exact. Vous avez été castés comme vous l’auriez été par n’importe quel directeur de casting. À la différence près que vous ne postuliez pas pour un seul rôle, mais pour des dizaines. Si ce n’est des centaines en fonction du temps que vous passerez avec nous. Vous êtes les premiers comédiens professionnels à intégrer le PRAPS.
- Mais comment passer pour le proche d’un patient ? Je veux dire, nous avons tous une vingtaine d’années, trentaine tout au plus. Nous ne serons pas crédibles quand il s’agira de jouer un enfant ou un vieillard… Même avec les meilleurs maquillages, la ressemblance ne sera jamais parfaite !
- C’est là que la réalité augmentée vous épaulera : vous serez habillés d’une tenue verte sur laquelle seront fixés une multitude de petites boules blanches qui permettront au programme d’Iha de vous repérer dans l’espace et de faire en sorte de vous coller une nouvelle peau, un nouveau visage, celui du protagoniste à remémorer. Pour ce qui est de la voix, vous porterez un micro sans fil. Votre voix sera traitée et restituée au patient avec le bon timbre.
« Vous aurez à vous mettre dans la peau de personnes qui ont réellement existé. Pas de place au hasard ou à la création. Plus un personnage sera crédible, plus le patient aura la sensation d’être dans son souvenir et plus la rééducation sera efficace. Les murs du studio sont également faits pour recevoir les projections du programme et ainsi se transformer en n’importe quoi et n’importe quel lieu…
Le téléphone de Madani sonne.
— Excusez-moi. Oui Iha.
— Madani, nous avons reçu notre première commande de Dakiri.
— Quoi ? Mais… C’est extraordinaire ! Quel EHPAD ?
— Ce n’est pas un EHPAD. Un producteur hollywoodien vient d’appeler. Tu sais ce qu’est un biopic ?
— Un film qui retrace la vie d’une personne ayant existé. Quel lien avec nos Dakiris ?
— Ils aimeraient les implanter chez des personnes connues ou en phase de le devenir. Pour pouvoir s’appuyer sur des faits plus que réels dans leurs scénarios et même pourquoi pas utiliser directement les images du Dakiri dans leurs films !
— L’idée est brillante !
— N’est-ce pas ? Et sais-tu sur qui pourrait bien être le premier film ?
— Toi ?!
— Peut-être pas non plus ! Sur Maman… Papa aurait été si fier.
Prochaine histoire courte dans notre édition du 17 octobre
Jérémy Riou, régisseur lumière depuis une dizaine d’années, a eu l’occasion de travailler sur quelques 350 spectacles à Paris et en tournée à travers le monde. Comédiens, auteurs, théâtres et voyages l’ont inspiré pour la création de ses propres histoires. L’une de ses nouvelles a été adaptée en court-métrage et une autre est en cours d’adaptation.
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# 5 : Reconstitution
# 1 : Le fuyard
# 2 : Chambre 111
# 3 : Le secret d'Iha
# 4 : Le meilleur souvenir
# 5 : Reconstitution
# 6 : Le PRAPS
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