Le système Dakiri

# 3 : Le secret d'Iha

Publié le 19/09/2019
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Résumé de l’épisode 2 : L’intrus qui a pénétré dans la chambre de Mme Dakiri n’était autre que la fille de cette dernière, Iha. Madani l’oblige à lui montrer ce qu’elle trafiquait sur sa mère. Le casque de réalité virtuelle posé sur la tête de Madani, Iha lui montre les images enregistrées il y a quinze jours par le système dont elle et sa mère sont dotées.

— Mon père était un brillant neurochirurgien passionné d’électronique, me raconta Iha. En 2003, à la mort de ma grand-mère maternelle – atteinte d’Alzheimer -, il a eu une idée. L’éventualité que ma mère oublie un jour qui était l’homme à ses côtés le terrorisait. Il imagina alors que si ma mère pouvait revoir ses souvenirs quand la maladie commencerait à grignoter ses neurones, cela lui permettrait d’entamer une rééducation de sa mémoire. Il envisageait une guérison partielle, mais il misait surtout sur une guérison totale.

« Il s’est enfermé dans son laboratoire au sous-sol de notre maison, et travailla sur un système qui permettrait d’enregistrer ce que les yeux de ma mère voyaient et ce que ses oreilles entendaient. Quand il ne travaillait pas à la clinique, il passait son temps sur son projet. 2005 fut l’année qui lui offrit le composant qui manquait à son invention : la carte mémoire microSD. Grâce à elle, il pourrait stocker les souvenirs tout en prenant le minimum de place dans le crâne de ma mère.

« Pour gagner de l’espace de stockage – encore très limité à cette époque –, et puisque j’étais en permanence collée aux jupes de ma mère, il prit l’initiative de m’installer le même système, un an après Maman. J’avais bien sûr donné mon accord après qu’il m’avait clairement tout expliqué, fière de partager une telle particularité avec ma mère.

Celle-ci a commencé à montrer les premiers symptômes de la maladie l’année de ses soixante ans. Mon père a alors lancé le processus de rééducation qu’il avait imaginé à la base de ce projet. Il projetait une heure de souvenir par jour à ma mère. Mais tous ses efforts ne suffirent pas et Maman sombra rapidement. Mon père s’obstinait mais rien n’y faisait.

Pour ma part, je sortais du lycée et je décidais de m’orienter dans l’apprentissage de la programmation informatique. À la fin de ma première année de cursus, j’acquis assez de connaissances pour me lancer dans mon projet : l’élaboration d’un programme qui permettrait de reconstituer un souvenir. Le casque de réalité virtuelle garantirait une immersion parfaite. Ma mère, virtuellement active, ressentirait mieux les souvenirs émotionnels liés à la scène visionnée.

Sur la route pour venir assister à ma remise de diplôme, mon père eut un accident de voiture. Il décéda sur le coup. Ma mère commençait déjà à oublier l’existence de son propre mari depuis quelques mois. Sa mort ne l’affecta pas beaucoup. La maladie avançait à une vitesse qui me dépassait.

Au bout de cinq ans, ma mère ne me reconnaissait plus, et je pris conscience que je n’avais pas d’amis. Que je ne sortais pas. Ce projet m’avait pris tellement de temps… J’ai donc décidé de placer ma mère ici, entre vos mains. Le projet a pris moins de place, mais restait quotidien : tous les matins, je venais faire sa séance de rééducation. En secret, toujours. Impossible à révéler aux yeux de tous sans être accusée d’infraction aux codes moraux ou éthiques…

Iha fit une pause. Elle regardait sa mère. J’avais la sensation qu’elle venait de se séparer d’une partie d’elle-même. Aujourd’hui était le début de quelque chose de nouveau pour elle.

— Le casque de réalité virtuelle a porté ses fruits ?

— Non. Aucun résultat probant.

Je réfléchis.

— Vous avez déjà essayé de lui faire revivre un de ses souvenirs ? Je veux dire… Avez-vous déjà essayé de lui faire revivre un souvenir pour de vrai, dans un décor qu’elle connaît, qu’elle peut toucher, avec des personnes qu’elle connaît, sans casque de réalité virtuelle ?

— Non, jamais… Mais…

— Venez !

Prochain épisode dans notre édition du 26 septembre

Jérémy Riou, régisseur lumière depuis une dizaine d’années, a eu l’occasion de travailler sur quelques 350 spectacles à Paris et en tournée à travers le monde. Comédiens, auteurs, théâtres et voyages l’ont inspiré pour la création de ses propres histoires. L’une de ses nouvelles a été adaptée en court-métrage et une autre est en cours d’adaptation.

Jérémy Riou

Source : Le Quotidien du médecin