Un carton pour Susie

# 2 : L’agression

Publié le 21/11/2019

C’est le soir du réveillon de Noël et Susie s’apprête à rejoindre la brigade des pompiers de Paris, dont elle est membre en qualité de médecin. Mais ce jour est aussi celui de son anniversaire, et la jeune femme a toujours eu du mal à maîtriser cette concordance de date... Alors qu’elle est perdue dans ses pensées, quelqu’un sonne à sa porte.

Crédit photo : Phanie

La jeune femme envisagea en une petite fraction de seconde tout un tas de raisons qui expliqueraient la présence d’une personne sur son palier un soir de Noël. Pas une ne tenait la route. Elle arriva à sa porte et se pencha sur son œilleton. Elle en était arrivée à la conclusion qu’il ne pouvait s’agir que d’une erreur et l’image déformée qu’elle aperçut dans son couloir la conforta dans ce sens. Un jeune homme, porteur d’une boîte à pizza, sifflotait en regardant le plafond de sa cage d’escalier. Énigme résolue, ses voisins du dessus avaient coutume de se faire livrer une margherita presque tous les vendredis soir. Quelque chose en elle tenta pourtant de retenir sa main lorsqu’elle la porta à son verrou.

Elle entrouvrit. Le garçon lui adressa un sourire franc qui eut pour résultat d’étouffer ses doutes et d’endormir sa méfiance. Elle retira machinalement la chaîne de sécurité pour lui expliquer son erreur de manière plus courtoise. Mais elle fut si subitement repoussée à l’intérieur qu’elle trébucha sur Brutus qui se mit à souffler et lui griffa la jambe.

Susie, comme tout un chacun, savait ce que c’est que d’avoir peur. Elle goûtait là, pour la première fois, à cet autre ressenti qu’on nomme terreur. Il lui sembla d’abord que son cœur s’arrêtait de battre, puis qu’il cherchait à fuir sa poitrine en se débattant en tous sens. Ses poumons, eux aussi, hurlaient des mots rouges et spongieux dans leur langage de poumons. Un cri lui vint dans la gorge et y resta en suspens. Ses fesses touchèrent enfin le sol au moment où son regard parvenait à attraper celui de son agresseur. Elle chercha encore à crier. Ce ne fut pourtant qu’un étrange et pitoyable borborygme qu’elle parvint à envoyer dans le monde.

Le jeune homme, qui venait de franchir son seuil, jeta au sol sa boîte à pizza et se dirigea vers elle avec un air catastrophé. Le garçon, et même s’il était bien trop tard pour ça, lui tendait les bras comme pour l’empêcher de tomber. Il avait l’air profondément désolé et s’efforçait à poser sur sa mine un sourire engageant et plein d’excuses.

— N’ayez pas peur, madame !

Elle ouvrit la bouche, mais aucun mot ne lui vint capable de donner une quelconque cohérence à ce début de dialogue. Comment pouvait-on demander, exiger même, à la victime de son agression de ne pas avoir peur ?

— Je ne vous veux pas de mal !

Il lui tendit la main. Il avait sur le visage un tel air d’innocence peiné qu’elle lui donna la sienne sans faire preuve de plus de réflexion que lorsqu’elle lui avait ouvert sa porte. La main du jeune homme était aussi glacée que l’hiver de la rue. Son cri se refusait toujours à sortir. Pourquoi appeler des secours ? Elle avait fini par intégrer, depuis ce jour déjà lointain où elle avait quitté sa fac de médecine, que c’était elle, les secours qu’on appelait.

— Vous êtes bien le docteur Laporte ? Il vous faut venir avec moi. Je vous en prie. C’est assez urgent.

— Comment ça venir avec vous ? Non, mais comment ça ? Et le 15 ? Le 18 ? Ça vous parle ? Vous vivez dans quel monde ?

— S’il vous plaît madame ! Il faut faire vite.

Elle sentait enfin la colère prendre le pas sur sa peur. Elle préférait mille fois ce sentiment. Elle avait, tout en même temps, envie de gifler cet imbécile et de comprendre son attitude. Il lui désigna sa sacoche sur la table.

— S’il vous plaît madame ! S’il vous plaît !

Prochain épisode dans notre édition du 28 novembre

Né à Aurillac en 1958, Jean Chauzy grandit dans une petite cité HLM posée tout au bout de la ville. Il connaîtra là une enfance insouciante et heureuse. Des études à l’école Hôtelière de Souillac le mènent vers une carrière dans le domaine du vin. Il est l’auteur, sous le pseudonyme de James Wouaal, d’un « Éphéméride à l’usage des Mécréants » où il revisite, de manière parfaitement farfelue, la biographie des saints du calendrier.

Jean Chauzy

Source : Le Quotidien du médecin