Un carton pour Susie

#  4 : On se retrouve

Publié le 05/12/2019
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Susie, jeune médecin, se retrouve embarquée par un drôle de garçon vers un lieu qu’il se refuse à lui communiquer. En cours de route, ils sont les témoins, et presque les victimes, d’un accident de la route.

Ils s’immobilisèrent enfin. Trois épaisseurs de cheveux séparaient du leur le pare-chocs de la Toyota. Susie sentit précisément le moment où ses poumons, comme rassurés, se remettaient en marche en s’efforçant d’absorber tout l’air de l’habitacle. Son cœur, lui, cherchait visiblement à battre un record de vitesse. Un coup d’œil à son voisin lui renvoya l’image d’un spectre blanc et halluciné. Il semblait craindre encore, toute prête à se remettre en branle, une collision suspendue dans le temps.

Elle le laissa à cette transe. Elle se précipitait déjà, sa sacoche en main, vers le lieu de la collision. Par cet éternel miracle de curiosité spontanée, deux ou trois badauds étaient déjà sur place lorsqu’elle parvint sur les lieux. Le bruit de la collision semblait ne pas s’être encore entièrement dissous dans la nuit parisienne. Elle annonça résolument son titre et réclama de la place avec l’assurance de la Susie médecin. Une Susie dont tout, de la voix jusqu’au moindre geste, n’était plus qu’autorité.

Le conducteur de la berline, visiblement choqué, saignait abondamment de l’arcade. Il se dirigea vers elle comme s’il allait de soi qu’on devait le prendre en charge lui, et immédiatement. Elle l’écarta d’un geste et se pencha à l’intérieur de la première voiture à avoir subi le choc frontal. La lumière bleue d’un gyrophare de la police tournoyait déjà autour d’elle. Les deux fonctionnaires qui s’en extirpèrent se mirent immédiatement en devoir de repousser la foule de curieux qui venait de pousser sur le bitume comme une nuée de girolles après une pluie d’automne.

Elle se plongea dans ce drame comme dans tous les autres, sans plus penser à ce qui l’avait conduite ici et maintenant. Le plus touché des accidentés en serait quitte pour une clavicule cassée et son passager pour une belle entorse au poignet. Elle proposa au chauffard de le recoudre sur place. Il faisait la tête et lui dit préférer attendre un « vrai » médecin.

Lorsque les secours débarquèrent, elle avait déjà fait le tour des victimes et estimé les dégâts. Ses collègues de Port-Royal étaient étrangement surpris de la retrouver là. Elle leur abandonna la place et fut à peine surprise de constater que le garçon l’attendait un peu plus loin, comme s’il allait de soi qu’elle accepte de reprendre avec lui leur étrange périple. Elle se promit de lui demander enfin quelques explications, mais elle n’hésita pas une seconde à remonter avec lui en voiture. Le seul fait qu’il n’ait pas pris la fuite, lorsqu’elle avait brièvement échangé avec les policiers pour leur dire son état de médecin, prouvait bien qu’il ne devait pas avoir grand-chose à se reprocher. La démarche de ce jeune homme en devenait plus intrigante encore. Elle se heurta pourtant à son douloureux mutisme lorsqu’elle s’efforça de lui arracher quelques mots. Il se contenta de lui dire qu’ils arrivaient bientôt et de lui répéter qu’elle n’avait absolument rien à craindre.

Il se gara enfin, Allée Rodenbach, à deux pas de la prison de la Santé, ce qui eut pour conséquence de relancer un bref instant la piste des truands en cavale, mais il la conduisit ensuite dans une ruelle, à trois cents mètres de là, par où ils pénétrèrent dans la cuisine d’un restaurant quelle connaissait bien.

Il prit les devants, cette fois résolument. Elle le sentait soulagé comme un enfant qui vient de trouver la sortie de la galerie des Glaces dans une fête foraine. Les trois cuisiniers les saluèrent aimablement et personne ne chercha à s’interposer devant eux. Il ouvrit la porte qui donnait sur le restaurant.

Prochain épisode dans notre édition du 12 décembre

Né à Aurillac en 1958, Jean Chauzy grandit dans une petite cité HLM posée tout au bout de la ville. Il connaîtra là une enfance insouciante et heureuse. Des études à l’école Hôtelière de Souillac le mènent vers une carrière dans le domaine du vin. Il est l’auteur, sous le pseudonyme de James Wouaal, d’un « Éphéméride à l’usage des Mécréants » où il revisite, de manière parfaitement farfelue, la biographie des saints du calendrier.

Jean Chauzy

Source : Le Quotidien du médecin