par Sandra Bartmann
Lorsque Pommerel put enfin regagner son véhicule, la nuit tombait déjà. Au milieu du marasme dont il s’était échappé, il avait cherché à joindre Bathilde pour lui demander de reporter ses rendez-vous suivants, sans succès. Il se laissa tomber sur le siège, claqua la portière, verrouilla l’habitacle. Là, il éclata en pleurs, convulsivement. Il avait traversé les deux dernières heures comme absent à lui-même, prisonnier des Vitelot et de leur indicible douleur. Ils étaient ivres de rage. Contre lui, contre Pommerel.
« C’est à cause de vous si le petit est mort ! Pourquoi on vous a écouté ? Pourquoi ? »
Pommerel était allé ausculter le petit corps inerte. Il était revenu, livide, dans la cuisine où l’attendaient les Vitelot. Perclus de haine et de chagrin.
« Elle l’avait dit, la Berthe, qu’il fallait faire les conjurations ! Qu’il fallait s’y attendre, que le petit était trop beau, trop parfait ! »
Pommerel avait rédigé d’une main tremblante un de ces actes de décès inconcevables, où la date de naissance et celle de la mort ne sont distantes que de quelques semaines. Il avait écouté les Vitelot sortir par salves de leur sidération pour s’en prendre à lui, dans toute la violence de leur désarroi.
« La Berthe savait qu’il attirerait le mauvais œil ! Et vous ! Vous nous avez dit de ne pas l’écouter, de vous faire confiance ! »
Puis, les parents des Vitelot étaient enfin arrivés, terrassés, abasourdis. Et lui, Pommerel, s’était coulé hors de l’appartement comme s’il n’y avait jamais vraiment mis les pieds.
Et maintenant il était là, barricadé dans sa R5, à pleurer comme un enfant. Ce n’était pas possible, ça ne devait pas arriver. Non, ça ne devait plus jamais arriver. Sans se donner le temps de réfléchir, il avala plusieurs anxiolytiques d’une traite.
Dans le ciel assombri, les nuées de pies poursuivaient leur sarabande macabre. Le blanc de leur plumage battait frénétiquement dans le crépuscule, formant un halo crépitant d’étincelles au-dessus de la tête de Pommerel. Il les observa longuement en séchant ses larmes. Bathilde avait raison, ces pies étaient là pour lui, elles le mettaient au défi. Oui, mais de quoi ?
Soudain, les oiseaux semblèrent s’immobiliser. Les volutes de leur danse se resserrèrent, et en un instant, elles prirent la direction du nord. Pommerel, secoué d’un frisson, enclencha la première.
Les mains crispées sur le volant, il suivit les oiseaux, qui l’attirèrent bientôt sur la route des falaises. En contrebas, la mer fracassait ses vagues d’encre contre la roche, déchirant le silence à peine altéré par le ronronnement du moteur. Pommerel aperçut bientôt l’ombre d’une maison qui penchait dangereusement au bord du précipice. Une faible lueur vacillait à travers les fenêtres. Une à une, les pies se posèrent sur le toit, constellant le chaume de taches mouvantes où le noir et le blanc se confondaient.
Pommerel se gara le long de la muraille. Une détermination glacée grandissait en lui, prenant presque le pas sur sa terreur. Il sortit de sa voiture et claqua la portière avec force. Les pies ne frémirent pas, elles semblaient l’observer. Pommerel s’avança vers le perron, monta les quelques marches qui le séparaient de la porte. Aucun son ne s’échappait de l’intérieur. Il prit une grande inspiration et frappa trois coups vigoureux contre le bois. Un bruit mat de talons claquant contre le carrelage s’approcha. La porte s’ouvrit dans un grincement. De l’autre côté du seuil, le visage de Bathilde lui souriait.
Prochain et dernier épisode dans notre édition du 9 octobre
Avec la collaboration de

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