Par Sandra Bartmann
Le bruit sourd d’un impact tira le Docteur Pommerel de son cauchemar peu avant sept heures, ce matin-là. Il se redressa péniblement ; le petit visage diaphane de Pauline Seigner était encore incrusté dans sa rétine. Minuscule dans son lit d’hôpital, les yeux écarquillés et les lèvres obstinément closes, elle le hantait toujours. Il fallut à Pommerel plusieurs minutes pour réintégrer la réalité de son nouveau décor : un petit studio humide et pauvrement meublé, niché dans les combles d’une vieille maison isolée en rase campagne.
Pommerel s’arracha à son canapé-lit et alla tirer les rideaux. Un pâle rayon de lune délavait la plaine ; au loin, un flanc de falaise se détachait dans le brouillard. Une traînée rose et gluante barrait la vitre en son milieu. Pommerel ouvrit les battants et risqua un regard en contrebas. « Encore… », murmura-t-il dans un souffle.
Dans l’herbe boueuse, un étage plus bas, le corps fracassé d’une énorme pie se recourbait dans un dernier souffle. C’était la troisième fois depuis son arrivée qu’un de ces oiseaux monstrueux venait finir sa route en heurtant sa fenêtre de plein fouet.
Frissonnant, il referma les battants et s’avança vers sa minuscule cuisine rudimentaire. Il fallait vraiment qu’il songe à aménager cet appartement, que son prédécesseur, le Docteur Gramier, ne semblait jamais avoir réellement investi. « Vous n’y serez pas souvent, de toute façon », avait-il dit dans un énigmatique sourire, « Vous verrez, ça vous changera de la capitale… et de tout ce que vous avez connu jusqu’ici, à vrai dire ». « Ça tombe bien », s’était dit Pommerel, « c’est exactement le but recherché ». Oublier la ville, les Urgences, la petite Pauline aux lèvres scellées.
Pommerel chassa leurs visages de son esprit. Il déjeuna rapidement, fit une toilette sommaire, et sortit à huit heures pile pour rejoindre son cabinet du rez-de-chaussée.
Son assistante Bathilde, sanglée dans un invraisemblable tailleur vert, semblait l’attendre depuis toujours. Elle tourna vers lui son regard perçant, et étira ses lèvres dans un indéfinissable sourire.
- Bonjour Docteur. Belle journée n’est-ce pas ?
Pommerel jeta un œil méfiant par la fenêtre : une journée pluvieuse peinait à se dégager de la noirceur du ciel. Il s’assit face à Bathilde, sans lui répondre. Elle souriait toujours.
- Vous avez remarqué, Docteur… L’oiseau ?
Pommerel se raidit. Il savait très bien où son assistante voulait en venir.
- Oui, merci, j’ai remarqué. Parlez-moi plutôt de mes visites d’aujourd’hui.
Bathilde ouvrit l’agenda et en entama la lecture d’une voix lente. Lorsqu’elle eut terminé, Pommerel s’aperçut qu’elle l’observait avec attention.
- Pourquoi me regardez-vous comme ça, Bathilde ? C’est très agaçant, je vous l’ai déjà dit.
- Excusez-moi, Docteur… mais c’est vraiment dommage de s’obstiner à avoir des journées aussi chargées, inutilement… Ce serait tellement plus simple d’accepter une bonne fois pour toutes de demander de l’aide à…
Pommerel la coupa brutalement.
- Je connais vos ridicules superstitions, Bathilde ! Les gens sont malades, je suis médecin, je m’efforce de les soigner ! Il n’y a vraiment que vous pour ne pas trouver cela d’une logique élémentaire !
Bathilde le dévisagea avec patience. Son air indulgent semblait dire « Oh non, il n’y a pas que moi, vous devriez déjà l’avoir compris. ».
Exaspéré, Pommerel se leva. Il attrapa sa sacoche et sortit sans se retourner, en claquant la porte. Une interminable journée à sillonner le Bocage l’attendait.
Prochain épisode dans notre édition du 11 septembre
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