HISTOIRES COURTES - À vif

Inoubliable Kenya (3/6)

Publié le 03/11/2016
Article réservé aux abonnés

Par Céline Santran

Toujours bercée par les annonces des vols dans le hall des départs, les souvenirs défilent dans ma tête.

 

Photo n° 15 : Dans la famille des babouins ayant élu domicile dans la savane kényane, il en est une particulièrement originale : le babouin à cul bleu. Un bleu des mers du sud, à mi-chemin entre l’azur et le turquoise et qui, plaqué sur le postérieur d’un babouin grimaçant et joueur, semble tout droit sorti de l’imagination d’un Walt Disney. Parfaitement irréel. Devant mes yeux encore endormis, deux spécimens de bonne taille attendent patiemment notre réveil. Ils sont assis à quelques centimètres de notre tente, imperturbables, et m’examinent l’air dubitatif. Il y a parfois d’étranges créatures dans ce coin. Je me suis battue toute la nuit avec des moustiques prêts à tout pour combattre leur anémie, ma chevelure ressemble à un champ de maïs transgénique après une attaque de faucheurs énervés, et pour finir, j’ai la vessie au bord de l’implosion. Mais plutôt risquer l’apocalypse urinaire que de sortir en pleine nuit dans une savane où se sont mêlés toute la nuit cris de singes, barrissements et autres feulements que mon imagination a attribués à une ribambelle d’animaux tous plus féroces les uns que les autres. Les culs bleus sur mes talons, j’ai à peine fait trois pas hors de la tente que je tombe en arrêt devant un monticule informe que j’ai manqué d’écraser. Hakuna Matata, pas de soucis, la famille d’éléphants sauvages qui paresse maintenant à quelques pas de notre campement a laissé son empreinte, simplement pacifique, histoire de nous rappeler à notre humble condition. Le message est limpide : nous sommes vulnérables, mais surtout incapables d’égaler la force, la sérénité et la discrétion de nos congénères pachydermes. Ce matin-là, quelque part dans la savane du Tsavo Est, je médite devant une énorme bouse d’éléphant fraîchement larguée et déposée là comme une offrande.

 

Photo n° 22 : Il s’est installé sur l’île de Lamu au début des années soixante-dix, et revendique encore aujourd’hui fièrement le surnom de Ali Hippy, en souvenir de ces années d’insouciance où la culture de la marie-jeanne rythmait le quotidien d’une petite communauté de babas cool venus s’échouer sur cet archipel idyllique, entre mangrove et océan. De cette douce jeunesse, il a gardé ce petit grain de folie qui secoue son ventre bedonnant lorsqu’il rit et s’enflamme sur la beauté de cette île, son île, la petite sœur de Zanzibar, une parenthèse dans l’espace-temps qui fait la nique au monde pressé et au tourisme de masse. Il faut dire que la découverte de l’île se mérite. Douze heures à cahoter depuis le Tsavo dans un bus bondé sur une piste approximative avec un chauffeur aux taquets qui confond conduite et trampoline, pour finir par une traversée de nuit en barque-option-toutes-lumières-éteintes, et nous voilà arrivés à Lamu, un paradis sur Terre où seuls les ânes ont un permis de circuler.

Ali Hippy nous invite chez lui à manger des beignets de crabe, un délice farci au beurre et à l’ail qui vous transporte au septième ciel des saveurs inédites. Ici, seule la pêche rivalise avec cette autre activité qui berce doucement les barques : le Rien. Lamu est de ces endroits magiques où le Rien est Maître, où le Rien est Beau, où il vous donne envie de devenir poète et de rester alangui au bord de l’eau à regarder la vie.

Cet instant de paix au Kenya m’aidera, quatre mois plus tard, à affronter la deuxième insémination artificielle et le protocole qui va avec. Et je préfère ne pas penser au chemin qu'il me reste encore à parcourir.

Prochain épisode dans notre édition du 10 novembre


Par Céline Santran

Source : Le Quotidien du médecin: 9531