Histoires courtes - À vif

Une matinée presque ordinaire (1/6)

Publié le 20/10/2016
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Par  Céline Santran

Je ne suis pas allée au labo hier. Pas eu le courage. Gros soupir. C'est bon, je vais y aller ce matin. Ce n'est pas que la hardiesse me soit tombée dessus pendant la nuit, il faut bien en passer par là, c'est tout. J’avale le bol de céréales et le café fumant de l'ami Georges-What-else ? (le seul type qui arrive à vous faire aimer et les Urgences, et le café tellement fort que même les morts ne veulent plus en boire), et me voilà fin prête pour me rendre à ce fichu labo avec ses murs blancs à déprimer un régiment.

7 h 46

Assise dans la salle d'attente, je fixe en vain mon attention sur l'écran plasma géant récemment installé sur le mur opposé, qui projette les images d'une expédition de Nicolas Hulot dans un lointain Grand Nord. La banquise, des ours gentils, le blanc de la neige, le bleu de l'océan, ça doit être fait pour apaiser les tensions qui animent tous les stressés comme moi… Bon là, moi ce qui me stresse, c'est qu'il n'y a pas de son à leur documentaire, et lire sur les lèvres de Nicolas Hulot, c'est comme essayer de trouver les chiffres et les lettres : franchement, j'ai jamais pu.

7 h 50

C'est pas une prise de sang qui va m'anesthésier… Si je regarde le somptueux revêtement de sol de la salle de soins, c'est juste comme ça, pour me donner un air, l'air de celle qui cherche une réponse aux mille questions qui tournent dans sa tête… Pourquoi je suis là, combien de secondes vont s'écouler jusqu'au résultat, comment je vais occuper ma journée, si la disparition de la calotte glaciaire peut influer sur le niveau de la Garonne, pourquoi j'ai les Secondes 4 et pas les Secondes 8, si je serai encore vivante ce soir…

7 h 55

Je compte les heures qui me séparent du résultat. Dix heures et cinq minutes. Une éternité. Finalement, je me surprends à espérer que la journée sera remplie d'imprévus, d'élèves turbulents et de collègues survoltés par l'approche du bac…

9 h 05

— Paper was invented by the Chinese.

— Ah bon madame ? C'est les Chinois qu'ont inventé le papier ?

Matthieu a ouvert des yeux ronds comme s'il venait de comprendre l'origine du monde.

— Eh ben ça a pas dû arriver jusqu'au bahut alors, parce qu'on n’a toujours pas de PQ dans les toilettes…

— Monsieur Roberton, vous allez pouvoir de suite disserter sur l'utilité du papier toilette dans les établissements publics avec le CPE !

Damien Roberton se lève en maugréant :

— M'en serais douté… Mais c'est lui aussi (montrant Matthieu), il m'a tendu la perche !

Avant de découvrir le métier sur le terrain, on ne s'imagine pas à quel point un exercice sur la voix passive peut vite prendre des allures pittoresques…

11 h 05

Comme je l'avais prévu, mes deux premières heures de cours ont défilé sans que je m'en rende compte. C’est bien la première fois de ma vie que je me plains d’avoir seulement trois heures de cours le jeudi…

Il est midi dix, j'ai rangé mes affaires, effacé le tableau, bouclé mon cartable, fermé ma salle, déposé les billets d'absence à la Vie Scolaire, pris tout mon temps pour traverser la cour, et là, bizarrement, aucun élève à l'horizon, rien pour me retarder, mais alors rien de rien, et encore six heures à attendre.

Quand la vie ne tient qu'à un fil, c'est fou ce que le fil semble ténu…

Prochain épisode dans notre édition du 27 octobre

Avec la collaboration de   logo-fond-gris-2000_1.png



Source : Le Quotidien du médecin: 9527