Endocardite infectieuse en France

Le profil évolue

Publié le 04/06/2012
Article réservé aux abonnés
1338772269353258_IMG_84881_HR.jpg

1338772269353258_IMG_84881_HR.jpg
Crédit photo : PHANIE

Observer et examiner les profils clinique et bactériologique de l’endocardite infectieuse (EI) en France, analyser les caractéristiques de la maladie en fonction de la source d’acquisition de l’infection et comparer avec les données des deux précédentes études (1991 et 1999), tels étaient les objectifs de l’enquête menée en 2008.

Ce travail épidémiologique a recensé 497 cas d’endocardite infectieuse certaine (selon la classification de Duke-Li, voir encadré) dans sept régions de France. Cela porte l’incidence à 32 cas par million d’habitants et par an. 25 % de ces endocardites étaient liées aux soins, 64 % étaient communautaires (y compris les EI des suites de procédure dentaire) et 6 % présentes chez des toxicomanes. L’âge moyen était de 62 ans et, pour raison inexpliquée, les trois quarts des endocardites concernaient les hommes.

On ne notait pas de cardiopathie connue chez 53 % des patients et 13 % des endocardites survenaient chez des patients ayant un dispositif intracardiaque (DIC, stimulateur ou défibrillateur). Il existait des complications extracardiaques chez 58 % des patients, et en particulier des emboles cérébraux dans 20 % des cas. À l’échographie, on relevait un critère échographique majeur chez près de 93 % des patients. L’endocardite atteignait aussi bien la valve aortique (31 %) que mitrale (35 %). La valve tricuspide était touchée dans 8 % des cas, essentiellement chez les porteurs de DIC et les toxicomanes.

Les hémocultures se sont révélées négatives chez 9 % des patients et le micro-organisme n’a pas été identifié chez 5 % des patients (sérologies, culture de valve après intervention chirurgicale).

Staphylococcaceae en hausse.

Les germes mis en évidence étaient des Streptococcaceae dans près de 47 % des cas. Les Streptococcaceae recouvrent l’ensemble des Streptocoques (36 % des germes) et les Entérocoques (10 %). 12 % des Streptocoques appartenaient au groupe D, ou Streptococcus bovis, qui très souvent proviennent d’une tumeur digestive.

Les Staphylococcaceae (36 % des germes pour toutes les EI et 59 % pour les EI liées aux soins) regroupaient Staphylococcus aureus (27 %) et les Staphylocoques à coagulase négative (10 %). Ce chiffre ne cesse d’augmenter au fil du temps car les EI liées aux soins sont de plus en plus fréquentes. Logiquement, on retrouve bien plus de Streptocoques dans les EI communautaires que dans les EI liées aux soins et, parallèlement, il y a beaucoup plus de Staphylocoques dans les EI liées aux soins que dans les EI communautaires. À ce propos, il faut distinguer les EI liées aux soins des EI nosocomiales, les EI liées aux soins pouvant être contractées à domicile, notamment par l’intermédiaire d’un cathéter.

La mortalité hospitalière dans cette enquête fut de 23 % (EI communautaires : 20 % ; EI liées aux soins : 31 %) et est équivalente dans les EI sur valve native et dans les EI sur prothèse. L’endocardite infectieuse reste donc une maladie grave, influencée par différents facteurs : complications cérébrales, insuffisance cardiaque, âge, Staphylocoque doré.

Des formes plus graves.

Les données de l’enquête 2008 ont été comparées à celles des enquêtes 1991 et 1999, réalisées selon la même méthodologie dans tous les hôpitaux de trois régions françaises (Lorraine, Paris grande couronne et Rhône-Alpes) sur 11 millions d’habitants (24 % de la population française âgée d’au moins 20 ans).

Hormis les études de la Mayo Clinic aux États-Unis, la France est le seul pays qui dispose d’un tel matériel épidémiologique sur l’endocardite.

On constate que l’âge moyen des patients augmente (de 58 ans en 1991 à 62 en 2008) ce qui va de pair avec l’augmentation des EI liées aux soins. Globalement, l’incidence ne varie pas significativement (35 en 1991 et 32 en 2008). La mortalité reste stable dans le temps car si elle diminue dans certaines formes, les formes graves des EI liées aux soins avec des germes plus virulents augmentent. Elles représentent un quart des patients, lesquels sont plus âgés, présentent des comorbidités et chez qui on retrouve un staphylocoque doré.

La proportion des hommes atteints augmente. Ils représentaient deux tiers des EI en 1991 et trois quarts en 2008. On ne sait toujours pas expliquer un tel sex-ratio. Au fil des années, on remarque aussi que la fréquence des endocardites survenant chez des patients sans cardiopathie connue a augmenté (de 34 à 47 %). Il y a plusieurs années, l’EI survenait généralement chez des patients présentant une cardiopathie à l’occasion de soins dentaires ; aujourd’hui l’endocardite est souvent due à des Staphylocoques dorés inoculés lors de soins chez des individus sans antécédents cardiologiques. Les EI sur DIC sont passées de 3 à 15 %. Certes, il y a plus de porteurs de DIC en 2008 qu’en 1991, le dépistage des EI sur DIC est également plus rigoureux et plus déclaré qu’il y a 20 ans.

Au total, les Streptococcaceae sont passés de 56 à 49 % entre 1991 et 2008 et les Staphylococcaceae de 21 à 36 % (16 à 26 % pour les staphylocoques).

Antibioprophylaxie mois exigeante.

Les Français ont été les premiers à proposer que l’antibioprophylaxie soit optionnelle chez les patients à risque modéré d’endocardite infectieuse. Depuis, les sociétés savantes de nombreux pays ont pris le pas et plaident pour une antibioprophylaxie de moins en moins exigeante. Aujourd’hui en France, la Société française de cardiologie (SFC) a adopté les recommandations de l’European Society of Cardiology (ESC) de 2009. Elles limitent l’antibioprophylaxie aux personnes à haut risque. Le traitement prophylactique n’est prescrit que pour les interventions de la sphère dentaire. Pour tous les autres gestes (appareil respiratoire, gastro-intestinal, génito-urinaire, chirurgie dermatologique ou musculo-squelettique), la prophylaxie de l’endocardite n’est pas recommandée.

L’endocardite infectieuse est donc une maladie rare mais qui reste grave. En quelques années, son profil a évolué ; elle est aujourd’hui essentiellement liée aux soins, souvent en rapport avec une bactériémie à Staphylococcus aureus. Les EI liées aux soins représentent 25 %, et ont un profil particulier : patients plus âgés, avec comorbidités, le plus souvent dues à S. aureus et de pronostic plus sombre.

D’après un entretien avec le Pr François Delahaye, hôpital Louis Pradel, Lyon. et la communication du Pr François Delahaye, au nom du groupe d’enquête EI 2008 de l’Association pour l’Étude et la Prévention de l’Endocardite Infectieuse.

Selto-Suty et coll. Preeminence of Staphylococcus aureus in Infective Endocarditis : A 1-Year Population-Based Survey. Clin Infect Dis. 2012 May;54(9):1230-9.

Delahaye F. Prévention de l’endocardite infectieuse : quoi de neuf ? Rendez-vous de la Cardiologie, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Paris, 11 mars 2011.

Habib G, et coll. Guidelines on the prevention, diagnosis, and treatment of infective endocarditis (new version 2009) : The Task Force on the Prevention, Diagnosis, and Treatment of Infective Endocarditis of the European Society of Cardiology (ESC). Eur. Heart J. October 2009;30:2369-413. Epub 2009 Aug 27.

 Dr B Martin
En complément

Source : Le Quotidien du Médecin: 9135