LES PROGRÈS RÉALISÉS, ces dernières décennies dans la caractérisation des anomalies cytogénétiques, fonctionnelles et de certaines molécules de la cellule normale aux cancers a abouti à la notion de gènes oncogènes, qui, mutés, entraînent la cancérisation, la progression de la malignité de la cellule concernée, et à la notion de gènes suppresseurs de tumeurs, s’opposant à la cancérisation qui, s’ils sont inactivés par une mutation augmente le risque de cancer.
Ces connaissances relativement récentes ont contribué dans les cancers humains à caractériser des anomalies essentielles à la survie et à la prolifération de cellules cancéreuses présentes uniquement dans des sous-types d’un cancer donné et à subdiviser ce cancer en de nombreux sous-groupes.
Sur ces bases nouvelles sont fondés des traitements adaptés, des traitements ciblés capables d’inhiber l’activité des produits de ces gènes. Il s’agit de nouvelles entités chimiques ou d’anticorps monoclonaux humanisés ou humains. Actuellement, on compte en Europe 24 agents ciblés bénéficiant d’une AMM. Parmi eux, dix sont des anticorps monoclonaux humains ou humanisés destinés au traitement d’hémopathies malignes ou de cancers. Neuf sont des molécules chimiques inhibant la fonction de la protéine tyrosine kinase, initiatrice des signaux intracellulaires entraînant la multiplication cellulaire, la résistance à la mort cellulaire, l’invasion cellulaire et la formation de métastases. Deux sont des molécules chimiques inhibitrices de mTOR, un relais intracellulaire, et, enfin une s’oppose au système de dégradation intracellulaire de protéines normales. Il faut également citer deux molécules à activité complexe (la thalidomide et le leniladomide) pouvant être considérées comme des traitements ciblés du fait de leur activité immunomodulatrice. Elles sont utilisées dans le traitement des myélomes.
Les anticorps monoclonaux se lient de façon spécifique à la molécule de surface ou à un facteur de croissance extracellulaire, ce qui n’est pas le cas, ou tout au moins plus rarement, des inhibiteurs de protéine kinase qui peuvent inhiber jusqu’à quinze récepteurs différents.
Ces traitements, conséquences des avancées de la biologie moléculaire ont modifié positivement la prise en charge de certains cancers, mais ont montré également leurs limites.
Lorsqu’ils sont utilisés seuls ces traitements ciblés ne sont actifs que lorsque leur cible ou une des cibles atteintes est le produit « d’un gène maître » entraînant à lui seul la cancérisation cellulaire. Ainsi, dans les leucémies myéloïdes chroniques, c’est le cas de l’imatinib, du nilotinib, du dasatinib, qui inhibent la protéine ABL activée lors des translocations BCR-ABL, caractéristiques de ces pathologies. Des taux de rémission très élevés, hématologiques, cytogéniques et moléculaires ont ainsi été enregistrés, mais une exposition continue est nécessaire pour maintenir ces réponses. Toutefois, on constate des échappements imputables à d’autres mutations souvent du même gène qui entraînent une rechute. Dans le cas de tumeurs digestives rares, les GIST des résultats du même ordre sont obtenus avec l’imatinib. On peut également citer des taux de réponse très élevés avec des agents à activité antiangiogénique (sofafenib, sunitib, pazopanib, etc.) ou des inhibiteurs de la signalisation intracellulaire dans des cancers du rein jusque-là résistants à tous les traitements disponibles. Dans ces quelques exemples, l’association de ces traitements ciblés à des agents cytotoxiques n’apporte aucun bénéfice, ce qui n’est pas le cas d’autres traitements ciblés.
Ainsi les anticorps monoclonaux dont l’activité est plus ou moins élevée s’ils sont utilisés seul, peuvent avoir une action additive ou synergique avec une chimiothérapie et/ou un autre traitement ciblé. On peut citer dans le cancer du sein surexprimant le récepteur HER2, cancers, les premiers à avoir bénéficié de traitements ciblés, le trastuzumab associé simultanément à des petites molécules inhibant la fonction tyrosine kinase puis poursuivi dans le traitement adjuvant permet de très longues rémissions et des guérisons. « Il faut toutefois souligner, commente le Pr Michel Marty, que les associations d’agents ciblés se révèlent souvent d’un maniement difficile mais commencent à émerger comme une alternative ou un complément de la chimiothérapie cytotoxique ».
La recherche des anomalies moléculaires spécifiques est devenue une obligation.
Actuellement, la caractérisation des cibles visées par les traitements sur le marché, c’est-à-dire la recherche des anomalies moléculaires spécifiques d’un cancer, devient une obligation pour la mise en œuvre d’un traitement anticancéreux. En France, sous l’impulsion de l’INCa des plates-formes de génétique moléculaire somatique ont été mises en place pour la réalisation de tests.
Toutefois, une autre limite de ces traitements ciblés en plein développement, dont une dizaine sera bientôt disponible visant de nouvelles cibles (comme par exemple la mutation RAF dans le mélanome), est leur tolérance. Parmi les toxicités non soupçonnées, certaines sont d’apparition rapide (cutanées), d’autres retardées (cardiaques, neurologiques, etc.). Les plus fréquentes, tous produits confondus sont cutanées, digestives et vasculaires.
Ces traitements sont néanmoins porteurs d’espoir dans la lutte contre les cancers, et leur développement est en plein essor. Mais, pour l’instant, la chimiothérapie garde une place importante dans le traitement des cancers les plus fréquents et de nouveaux agents apparaissent sur le marché.
D’après une conférence de presse présidée par le Pr Michel Marty (hôpital Saint-Louis, Paris).
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