Le jeûne revient en force, vantant des bienfaits psychologiques, détoxifiants, pondéraux… Mais aussi thérapeutiques, notamment vis-à-vis du cancer. Pourtant, aujourd’hui, rien ne permet d’affirmer que le jeûne freine l’évolution tumorale ou accroît la tolérance aux traitements anticancéreux chez l’homme.
Le jeûne revient à la mode. Ainsi, on voit fleurir des régimes intitulés 5/2, pour « 5 jours de plaisir et 2 jours de jeûne », des régimes « Fast diet » et bien d’autres encore qui vantent les mérites du jeûne pour se détoxifier et perdre du poids rapidement. Dans une autre veine, « Jeûne et randonnée », qui propose des stages de jeûne diététique (eau, tisanes, bouillons filtrés et jus de fruits dilués) associés à la marche à pied, fait de plus en plus d’émules. Toutefois, ces nouvelles attitudes heurtent aussi bien les nutritionnistes que les médecins. Elle mettent aussi en alerte la Mivilides (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) car les risques de récupérations sectaires ne sont jamais éloignés.
Un concept aux antipodes de la nutrition
Mais revenons aux vertus supposées du jeûne. Avec, tout d’abord, la question de la perte de poids qui peut être spectaculaire… mais surtout temporaire et risquée. « Obtenue au moyen dun jeûne, la perte de poids survient en quelques semaines, mais les patients perdent du muscle, de l’os et des protéines avec des carences en vitamines et minéraux qui peuvent entraîner des troubles neurologiques et, chez les personnes âgées, favoriser la dénutrition », explique le Dr Jean-Michel Lecerf, chef du service de Nutrition de l'Institut Pasteur de Lille. De plus, de nombreuses données attestent une reprise de poids après une période de jeûne. « En réduisant drastiquement leurs dépenses énergétiques par rapport à leur métabolisme de base, du fait de la fonte musculaire (voire d’une sarcopénie), le jeûne fait le lit de la reprise pondérale avec, en premier lieu, un stockage adipeux lors du retour à l’alimentation », explique le nutritionniste. Pour résoudre les problèmes pondéraux, il faudrait – au mieux – que la cure de jeûne implique une rééducation alimentaire.
Autre interrogation : le jeûne permet-il à l’organisme de se détoxifier ? Le Dr Lecerf tolère à la rigueur des jeûnes très courts de 24 à 48h après des excès alimentaires caractérisés, même si « ce n’est pas une bonne manière d’éponger les excès ».
Enfin, les curistes avancent que le jeûne permet d’atteindre un état de bien-être, voire d’euphorie. Des sensations très suggestives, apparaissant surtout dans les trois premiers jours et qui pourraient être dues à l’augmentation des corps cétoniques induite par le jeûne.
Mais, « in fine, les cures de jeûne vont à l’encontre du sens même de la nutrition qui est de réapprendre à manger diversifié et à équilibrer son alimentation », résume Jean-Michel Lecerf. De plus, le jeûne est absolument contre-
indiqué en cas d’affection coronarienne avancée, de grossesse ou d’allaitement, d’insuffisance hépatique et rénale, de maladies auto-immunes, de sclérose en plaques, de diabète de type 1 ou d’anorexie.
Cependant, on a récemment mis en avant les vertus thérapeutiques du jeûne, principalement dans le cancer. Mais attention : aucune étude scientifique valable ne permet de considérer que le jeûne est une méthode thérapeutique. Il peut toutefois arriver, très exceptionnellement, dans de fortes hypertriglycéridémies, lors d’un diabète très déséquilibré (pour obtenir une perte de poids rapide et abaisser les marqueurs sanguins) ou dans des maladies inflammatoires intestinales chroniques (afin de mettre au repos le tractus digestif et réduire les diarrhées ou douleurs abdominales) de soumettre des patients à restrictions alimentaire intenses, de façon contrôlée en milieu hospitalier.
Jeûne et cancer, où en est-on ?
Quand on parle de jeûne à visée thérapeutique, c’est incontestablement dans le cancer que cette notion est la plus documentée. D’autant plus que le livre « Le Jeûne, une nouvelle thérapie ? », paru en septembre aux éditions La Découverte et qui a provoqué un buzz médiatique, a remis cette idée au goût du jour. Ponctuant son ouvrage d’exemples de jeûneurs du XIXe siècle à nos jours, l’auteur, le documentariste Thierry de Lestrade, retrace l’historique de cette pratique. Passée de mode pendant les Trente Glorieuses en Occident, on y apprend que dans les années 1980, le jeûne a même été inscrit dans la politique de santé publique en Union Soviétique. « Atteints de troubles psychiatriques, de maladies de peau, d'hypertension, de polyarthrite rhumatoïde, d'obésité... deux tiers des patients se sentent mieux grâce au jeûne », affirme Thierry de Lestrade. Mais surtout, le livre – en plus de rapporter de nombreux témoignages relatant l’impression des malades de reprendre possession de leur corps et de minimiser les effets secondaires des chimiothérapies – fait la part belle au Pr Valter Longo (université de Californie du Sud), le chercheur qui a remis le jeûne au goût du jour. Depuis les années 1980, il s’intéresse au lien entre jeûne et traitement du cancer avec un objectif : savoir si cette pratique peut protéger l’organisme de la chimiothérapie. En mars 2012, son étude phare (1) a fait couler beaucoup d’encre, au point que deux fondations européennes avaient décidé de le doter de financements pour passer à l’expérimentation humaine. Thierry de Lestrade en résume les conclusions?: « Chez la souris, dans certains cancers (sein, mélanome, gliome), des cycles de deux à quatre jours de jeûne sont aussi efficaces que la chimiothérapie dans le ralentissement de la progression tumorale?». Mais de là à extrapoler ces résultats à l’homme, c’est aller un peu vite en besogne. Et chez l’homme, le Pr Longo n’a réalisé qu’une étude en ouvert sur une dizaine de patients (voir encadré p. 18).
Même si l’explication physiopathologique tient la route – il existe des voies intracellulaires communes entre l’anabolisme protéique et la croissance tumorale, etc. – les biais potentiels sont nombreux. Déjà, un jeûne de deux jours chez le rat équivaut à un jeûne plus prolongé chez l’homme. Puis, on implémente généralement un volume tumoral important chez le rat pour observer les modifications métaboliques et donc le rapport volume tumoral/volume de l’animal est incomparable entre le rongeur et l’homme. « Tout cela illustre le fait que le pouvoir métabolique de la tumeur est plus important chez l’animal que chez l’homme », résume le Dr Sami Antoun (institut Gustave-Roussy, Villejuif). De plus, une expérience en laboratoire ne peut prendre en compte le terrain immunitaire du malade, les caractéristiques de la tumeur et pléthore d’autres facteurs. Toutefois, « cette étude appuie le fait que la nutrition est une arme thérapeutique dans le processus tumoral », concède le spécialiste.
Les dangers de la dénutrition
À l’opposé, de nombreux essais ont établi que certaines tumeurs évoluent indépendamment des apports alimentaires. « L’amaigrissement observé au cours de certains cancers montre que la tumeur va puiser les nutriments dans l’organisme pour croître, explique Sami Antoun, même si les apports alimentaires sont réduits. »
De plus, selon d’autres publications, il existe un lien entre dénutrition et évolution négative de la tumeur, diminution de la qualité de vie, complications post-opératoires ainsi que toxicité des agents anticancéreux (plus la masse musculaire est diminuée, moins bonne est la tolérance à la chimiothérapie). Or 40% des patients en cancérologie sont dénutris. D’ailleurs, selon les recommandations en vigueur, un patient dénutri qui doit subir une intervention carcinologique complexe doit bénéficier d’une nutrition assistée parentérale ou entérale dans les sept à dix jours précédent l’intervention chirurgicale.
À quand un essai clinique européen ?
Malgré le peu de certitudes chez l’homme, les patients sont de plus en plus tentés de pratiquer le jeûne, souvent en parallèle à un traitement anticancéreux. Les médecins sont nombreux à penser que le corps médical ne doit pas rejeter la pratique du jeûne et l’étudier, pour mieux l’encadrer. C’est l’avis du Pr Zelek, dont le service d’oncologie (hôpital Avicenne, Bobigny) s’était mis sur les rangs pour participer à un essai clinique randomisé européen sur la pratique du jeûne chez l’homme en oncologie, essai coordonné par Valter Longo. Il devait débuter début 2014. Laurent Zelek se retrouve finalement au milieu d’un buzz médiatique qu’il déplore car, faute des financements espérés, le projet est aujourd’hui en stand-by. « Les données sur le jeûne sont troublantes et de nombreux patients cancéreux nous demandent notre avis, explique l’oncologue. Or on ne dispose à l’heure actuelle que de données précliniques qui ont confirmé sa faisabilité, mais il est temps de monter un essai multicentrique randomisé. »
La recherche sur l’intérêt du jeûne avance très lentement. Néanmoins, trois études sont en cours, en cancérologie, chez l’homme au cours de la chimiothérapie. Le premier essai est déjà bien avancé (2) réalisé par une équipe hollandaise chez des patientes atteintes de cancer du sein et le critère de jugement principal est la fréquence des neutropénies sous chimiothérapie. Le jeûne dure 24 heures avant et 24 heures après la chimiothérapie et sont exclues les patientes dont l’IMC est inferieur à 19 kg/m2 et les diabétiques. Les deux autres, nord-américains, sont encore en phase de recrutement (3). Ils concernent tous types de cancers et évaluent la faisabilité et la tolérance du jeûne avant et après chimiothérapie, l’efficacité n’étant pas le critère de jugement principal.
Dans les deux, les patients dénutris sont exclus ainsi que les diabétiques. « Si ces trois études convergent, estime le Dr Bruno Raynard de l’IGR (Villejuif), il faudra envisager le jeûne comme potentiellement intéressant chez ces patients.
(2) Fernando M. Safdie, Tanya Dorff, David Quinn et al, Fasting and Cancer Treatment in Humans : A Case series report AGING, December 2009, Vol.1 No.12.
(3) Alessandro Laviano, M.D., and Filippo Rossi Fanelli, M.D.Toxicity in Chemotherapy - When Less Is More. n engl j med 366;24; june 14, 2012.