Le 4 mai dernier, le Conseil Constitutionnel a abrogé l’article 222-33 du code pénal relatif au harcèlement sexuel au motif que les éléments constitutifs du délit n’étaient pas bien définis. « Il convient en revanche de souligner que la décision du Conseil constitutionnel n’a aucune incidence sur l’aspect non pénal de la question (principe de la prohibition du harcèlement, interdiction de licencier celui qui refuse du harcèlement ou qui témoigne) », a souligné la chancellerie dans une circulaire datée du 10 mai (lire encadré "en attendant").
Les ministres Najat Vallaud Belkacem et Christiane Taubira se sont engagées à combler ce vide juridique le plus rapidement possible. Elles ont rencontré le 21 mai diverses associations notamment l’AVFT (1), qui avait alerté depuis son adoption en 1992 sur la non-conformité de la loi et sur son inefficacité pour les victimes. L’une des définitions proposées est : « constitue un harcèlement sexuel tout propos, acte ou comportement non désiré, verbal ou non verbal, à connotation sexuelle, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte aux droits et à la dignité d’une personne ou de créer un environnement intimidant, hostile, humiliant ou offensant. »
Invisibilité.
Il semble que les mesures pour garantir un environnement professionnel dans lequel le harcèlement sexuel puisse être compris, prévenu et combattu soient aujourd’hui insuffisantes. « Comme dans le cas du harcèlement moral, le harcèlement sexuel induit des manifestations somatiques, dues à des états de stress aigus et chroniques, et psychiques, générées par des conflits de valeurs et d’identité.Toutefois, ce qui le caractérise au-delà de tout autre élément c’est la capacité qu’a le corps social de le rendre invisible, souligne le Dr Ridha Chakroun (2). En effet, le harcèlement sexuel peut être tellement banalisé qu’il est intégré dans les processus interactionnels usuels des organisations. Il peut à l’inverse être considéré comme un phénomène hors norme devant être couvert par le secret, la transaction et l’éviction de la victime. Dans les deux cas les victimes sontchosifiées et deviennent invisibles et inaudibles. Dès lors, il devient plus difficile de l’étudier ! ». De fait, sa prévalence est estimée de 2 à 86 % selon les études.
Formation.
Un travail a été mené par l’AMETRA (3) auprès de 25 étudiants futurs managers en fin de cursus d’une même promotion (10 hommes et 15 femmes). Tout d’abord, on proposait aux étudiants quatre scénarii (4) de harcèlement sexuel, chacun devait dans un premier temps indiquer quel scénario relevait ou non d’un harcèlement sexuel. Puis ces étudiants suivaient une formation théorique et une discussion d’une cinquantaine de minutes sur les implications du harcèlement sexuel avant de réitérer la première étape d’identification. Au terme de cette procédure, il leur était proposé de conduire une étude qualitative sur le harcèlement sexuel.
On remarque que le harcèlement est mieux identifié par les futurs managers après une formation (69 % versus 46 %) surtout parmi les femmes (75 % versus 48 %). 84 % des étudiants (versus 68 %) se sont perçus à l’issue de la formation comme légitimes pour conduire une étude qualitative sur le harcèlement sexuel. « Pour autant, l’augmentation de cette implication n’est pas statistiquement significative du fait de la taille réduite de notre effectif, précise le Dr Chakroun. Nous avons initié, avec la Dr Nicole Soudre-Lécué, des recherches complémentaires qui permettront d’affiner ces résultats tant chez les futurs managers que chez les salariés en poste en entreprise ».
Recherche systématique.
En attendant les résultats, une des principales préconisations consiste à intégrer les risques de harcèlement sexuel et psychosociaux dans le cadre global de l’évaluation dynamique et participative des risques professionnels. En l’absence d’outils diagnostiques facilement utilisables par les médecins du travail, le Pr Pascale Desrumaux préconise de le rechercher systématiquement dans les cas de harcèlement moral. Les médecins du travail ont également toute légitimité à intervenir sur des facteurs de risques organisationnels pour prévenir la dégradation de la santé des salariés et du collectif de travail. « Dans un premier temps, des stratégies relationnelles de signalement d’incivilité au harceleur peuvent être mises en place tant par la victime que par tous les observateurs de ces situations. Toutefois, la réduction du risque à la source ne doit pas être négligée. Elle consiste à veiller à rééquilibrer le sex-ratio du personnel et mettre en œuvre des politiques structurelles d’égalité de traitement entre les femmes et les hommes » conclut le Dr Chakroun.
(1) Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail. www.avft.org
(2) Association de Médecine du Travail des Alpes-Maritimes.
Membre du groupe Genre, Santé et Conditions de Travail du Réseau Francophone de Formateurs en Santé au Travail piloté par le Conservatoire National des Arts et Métiers
(3) Service de santé au travail de Cagnes-sur-Mer
(4) Modèles de Bursik et Gefter
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