Cancers HPV de l’oropharynx

Un parallélisme croissant avec les cancers du col

Publié le 09/07/2012
Article réservé aux abonnés
1341828290363360_IMG_87416_HR.jpg

1341828290363360_IMG_87416_HR.jpg
Crédit photo : BSIP

Des différences moléculaires permettent de distinguer les cancers de la tête et du cou HPV positifs ou négatifs. Les différences cliniques observées sont également pertinentes pour la prise en charge de ces patients.

 

DANS PLUS de 95 % des cas, les cancers des voies aéro-digestives supérieures sont des carcinomes de type épidermoïde qui se développent dans la muqueuse des voies respiratoires supérieures et du tube digestif. En dépit d’importants progrès réalisés depuis une vingtaine d’années en matière d’imagerie, de chirurgie et de thérapies ciblées, leur pronostic reste sombre. En France en 2005, 16 000 nouveaux cas ont été diagnostiqués et 5 400 décès ont été dénombrés. Ces tumeurs sont provoquées par l’exposition à la fumée de tabac et par une consommation d’alcool, ainsi que par l’effet conjoint de l’alcool et du tabac (1). Outre une susceptibilité génétique à l’étude actuellement, d’autres facteurs de risque environnementaux sont identifiés, comme l’alimentation, l’indice de masse corporelle, diverses expositions professionnelles, l’état buccodentaire, le tabagisme passif, le cannabis ou les hormones.

Des différences moléculaires et cliniques.

Mais un lien physiopathologique, l’infection à papillomavirus humain, a été évoqué dès 1983, puis de nombreuses études épidémiologiques ont confirmé ce rôle dans la survenue d’une partie des tumeurs des voies aérodigestives supérieures (VADS) (2). Ainsi, on estime que les HPV oncogènes seraient responsables de 25 % des cancers de l’oropharynx toutes localisations confondues et de 50 % au moins des cancers de l’amygdale. HPV16 est le génotype responsable dans près de 90 % des cas (3). Les amygdales sont considérées comme un réservoir de virus HPV et leur architecture cellulaire est similaire à celle de la jonction exocol-endocol.

Les tumeurs liées au HPV sont cliniquement distinctes des autres lésions. En effet, elles sont caractérisées par une plus faible extension tumorale et par un envahissement ganglionnaire plus important. Malgré leur extension ganglionnaire particulièrement fréquente, ces tumeurs sont dotées d’un pronostic plus favorable. Des différences entre les tumeurs liées à une infection à papillomavirus humain et les autres sont également notées au niveau moléculaire. Ainsi, elles sont par exemple caractérisées par la présence de la forme sauvage de la protéine p53, une protéine dotée d’une fonction oncosuppressive, laquelle constitue un événement déterminant au cours de la progression tumorale. L’incidence des cancers des VADS HPV positifs a augmenté dans les pays occidentaux alors que celle des cancers HPV négatifs reste stable voire diminue. Les cancers de l’oropharynx HPV positifs surviennent préférentiellement chez des patients plus jeunes, ne présentant généralement pas les facteurs de risque classiques que sont le tabac et l’alcool, et sont associés à des facteurs de risque d’infection sexuellement transmissible, notamment les rapports sexuels orogénitaux (5). Ils répondent mieux à la radio- et chimiothérapie et sont de meilleur pronostic que les cancers négatifs pour HPV. Ils présentent aussi des profils moléculaires et génétiques distincts, reflétant les conséquences de l’expression des oncoprotéines virales E6 et E7. RH Brakenhoff et coll. ont récemment évalué les caractéristiques phénotypiques de diverses lignées cellulaires, HPV positives ou négatives, notamment leur vitesse de prolifération, leur capacité migratoire et leur sensibilité au cisplatine, aux rayons ionisants et aux inhibiteurs de l’EGFR. Dans ce travail, les lignées de cellules cancéreuses HPV négatives sont apparues comme ayant un taux de prolifération réduit, sans augmentation de la sensibilité au cisplatine, aux rayonnements ou aux inhibiteurs de l’EGFR.

Une épidémie.

L’infection par le papillomavirus humain a été admis comme facteur de risque des carcinomes oropharyngés de type épidermoïde, en plus du tabac et de l’alcool, par l’Agence internationale de recherche sur le cancer (IARC)depuis 2007.

Depuis une dizaine d’années, les cliniciens de certains pays occidentaux ont suspecté que l’incidence de carcinomes oropharyngés de type épidermoïde était en augmentation. Pour confirmer cette hypothèse, Anders Näsman et coll. (Stockholm, Suède) ont colligé les données relatives à l’incidence des cancers de l’amygdale et de la base de la langue et à la présence d’HPV dans ces cancers. Par ailleurs, le virus a été recherché dans les échantillons oraux – et génitaux chez les femmes – chez des jeunes fréquentant une clinique pédiatrique située dans le centre de Stockholm, pour obtenir des données épidémiologiques avant l’introduction de la vaccination contre le papillomavirus en Suède. La recherche du papillomavirus a été effectuée dans les tumeurs des amygdales et de la base de la langue par PCR et, pour les échantillons obtenus dans la clinique de pédiatrie, par des tests multiparamétriques mis au point pour l’analyse de 24 types d’HPV. À partir des données du registre du cancer suédois, il a été possible de mettre en évidence que l’incidence des cancers de l’amygdale et de la base de la langue a augmenté à Stockholm et d’une manière générale en Suède, entre 1970-2009. Entre 1970 et 2006, dans la région de Stockholm, la proportion de cancers des amygdales HPV positifs a augmenté de 23 à 93 % (p ‹0,0001). De même, la proportion des cancers de la base de la langue HPV positifs est passée de 55 à 84 % entre 1998 et 2007.

Parmi les 483 échantillons de cellules buccales obtenus dans la clinique de pédiatrie, environ 10 % étaient positifs pour le papillomavirus chez les hommes et chez les femmes. Toutefois, quand des échantillons génitaux et buccaux ont pu être obtenus, ce qui a été le cas chez 174 femmes, la proportion d’échantillons de cellules buccales positifs a atteint 17 % chez les femmes ayant une infection génitale par le papillomavirus, contre 4 % chez celles qui en étaient indemnes (p ‹0,043). Ces données suédoises suggèrent qu’il existe bien une épidémie de cancers oropharyngés induits par les papillomavirus.

Les principaux facteurs de risque à l’origine des cancers des voies aéro-digestives HPV positifs ont été identifiés à partir d’une étude cas-témoins (6). Il s’agit de l’âge précoce du premier rapport sexuel, du nombre de partenaires sexuels différents, des pratiques sexuelles orales, de l’absence d’utilisation d’un préservatif et des antécédents de cancer associé au papillomavirus chez un des partenaires sexuels.

Une stratégie diagnostique nécessaire.

Dans les pays occidentaux, en raison de leur propagation épidémique, l’incidence des cancers des voies aéro-digestives HPV positifs a beaucoup augmenté. En revanche, en raison de la réduction du tabagisme, l’incidence de certains cancers de la tête et du cou a diminué. En outre, la survie à 5 ans des patients atteints de cancers HPV positifs est meilleure que celles des cancers HPV négatifs. Ces éléments sont cliniquement pertinents et les traitements mis en œuvre ont été intensifiés. Cette nouvelle stratégie thérapeutique fait appel à la chimiothérapie d’induction et à la radiothérapie intensifiée. Mais l’intensification du traitement, en raison de ses effets secondaires, plus importants, n’est pas bénéfique pour tous les patients atteints de cancers HPV positifs. Il apparaît donc nécessaire de définir à la fois le statut HPV et d’identifier d’autres marqueurs diagnostiques qui permettent de mieux prédire la réponse au traitement dans cette situation. L’idéal serait de faire appel à la PCR pour détecter l’ADN viral et de l’associer à l’expression d’oncoprotéines E6 et E7 des papillomavirus. Si cela n’est pas possible, la combinaison de la PCR pour la détection de l’ADN viral à l’évaluation de l’expression de la protéine p16 par immunohistochimie peut être utile. La protéine p16 est un inhibiteur des kinases dépendantes des cyclines de la phase G1 du cycle cellulaire et constitue un élément pivot de la réponse cellulaire à un stress oncogène.

D’après les communications de RH. Brakenhoff (Amsterdam, Pays-Bas), A. Näsman (Stockholm, Suède), T. Dalianis (Stockholm, Suède).

(1) Lee YCA, Marron M, Benhamou S, et coll. Active and Involuntary Tobacco Smoking and Upper Aerodigestive Tract Cancer Risks in a Multicenter Case-Control Study. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev. 2009;18(12):3353-61.

(2) Syrjänen K, Syrjänen S, Lamberg M, et coll. Morphological and immunohistochemical evidence suggesting human papillomavirus (HPV) involvement in oral squamous cell carcinogenesis. Int J Oral Surg. 1983;12(6):418-24.

(3) Kreimer AR. Human Papillomavirus Types in Head and Neck Squamous Cell Carcinomas Worldwide: A Systematic Review. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev. 2005;14(2):467-75.

(4) Leemans CR, Braakhuis BJM, Brakenhoff RH. The molecular biology of head and neck cancer. Nat Rev Cancer. 2010;11(1):9-22.

(5) Dufour X, Beby-Defaux A, Agius G, Lacau St Guily J. HPV and head and neck cancer. Eur Ann Otorhinolaryngol Head Neck Dis. 2012;129(1):32-38.

(6) D’Souza G, Kreimer AR, Viscidi R, et al. Case-control study of human papillomavirus and oropharyngeal cancer. N Engl J Med. 2007;356(19):1944-56.

 Dr GÉRARD BOZET

Source : Le Quotidien du Médecin: 9152