Quel est l’état de santé des 218 296 médecins français en exercice ?
Difficile à dire. Aucune étude globale n’a été menée sur cette population hétérogène de généralistes et de spécialistes, libéraux ou salariés. C’est sur les quelque 65 000 généralistes libéraux que la plupart des enquêtes sur l’état de santé ont été réalisées. Pourtant, quel que soit le mode d’exercice, les médecins ont en commun des facteurs de risque de surmenage et une réticence aux arrêts de travail.
Horaires à rallonge et état de stress
En 2011, 78 % des médecins généralistes déclaraient travailler plus de 50 heures par semaine (1). C’était aussi le cas de 49,9 % des médecins hospitaliers, toutes spécialités confondues (2).
Or ce sont les médecins qui travaillent le plus qui expriment le plus souvent un état de détresse psychologique et de burn out : 21 % en cas d’horaires hebdomadaires de plus de 65 heures, contre 9 % pour ceux qui travaillent de 46 à 64 heures et 7 % pour les autres.
Moins de 2 500 médecins malades… plus de 90 jours
La Caisse autonome de retraite des médecins de France (CARMF) publie chaque année un bilan complet du nombre de médecins bénéficiant du régime d’invalidité décès soit pour des arrêts de travail de courte durée, soit une invalidité définitive (3).
Mais ces chiffres ne prennent en compte que les praticiens qui suspendent leur activité plus de 90 jours (délai de carence CARMF). Pour des durées d’arrêt de travail plus courtes, les données manquent.
En 2012, 1 925 médecins ont bénéficié d’indemnités journalières : 32,57 % pour des affections cancéreuses, 20,47 % pour cause psychiatrique, 7,95 % en raison d’une affection traumatologique et 39 % pour d’autres pathologies (cardio-vasculaire, neurologique, grossesse, digestive…).
Cette même année, 583 bénéficiaient d’indemnités de la CARMF en raison d’une invalidité définitive, dont 40,31 % pour des causes psychiatriques.
Et les médecins hospitaliers ? Eux aussi hésitent à suspendre leur activité (2). Les indemnités journalières selon le régime général sont en effet calculées sur leur salaire « hors garde » et les sommes sont plafonnées. Le manque à gagner est parfois important. Certains préfèrent travailler tout en étant malades, plutôt qu’être entraînés dans une spirale d’endettement.
Un médecin traitant dans 20 % des cas
Dans les pays où la population doit déclarer un médecin traitant, de 20 à 100 % des praticiens suivent cette obligation (4). Et bien souvent ils préfèrent ne pas faire intervenir un autre médecin comme premier recours.
En France, dans une étude menée dans la région de Haute Normandie en 2008, 20 % des médecins généralistes avaient déclaré un autre médecin traitant qu’eux-mêmes (5).
En 2012, un travail mené sur des médecins de la région de Grenoble montre qu’en cas de pathologie aiguë ou chronique, respectivement 58,8 % et 40,7 % d’entre eux avaient eu recours à des confrères spécialistes et 3 % à leur généraliste traitant. Pour les autres, l’automédication et l’autoprescription d’examens étaient préférées (5).
Mieux que la population générale, moins bien que les cadres
Une étude de la Drees publiée en 2010 sur la santé des médecins (6) conclut que 80 % des praticiens en médecine générale s’estiment en bonne santé. Ce chiffre est un peu plus élevé que celui des personnes actives appariées : ainsi chez les hommes de 45-54 ans, 84 % des médecins se déclarent en bonne voire en très bonne santé contre 79 % des témoins « tout venant ».
Mais lorsque l’on compare ces valeurs avec celles des cadres et des professions intellectuelles, les généralistes semblent en moins bonne forme (88 % contre 94 % en très bonne ou bonne forme pour les hommes de 35 à 44 ans et 86 % contre 97 % pour les femmes dans la même tranche d’âge).
Un médecin sur trois déclare être atteint d’une pathologie chronique ou durable. Cette proportion passe à 43 % après l’âge de 55 ans pour les hommes et à 38 % pour les femmes.
Troubles du sommeil, fatigue et stress
En 2010, lorsque les enquêteurs de la Drees interrogeaient les médecins sur les signes ou de symptômes qu’ils avaient ressentis de façon répétée au cours des 12 derniers mois, la fatigue, le stress et des troubles du sommeil étaient mis en avant (6).
Et ce quelle qu’ait été la réponse du médecin à la question sur son état de santé ressenti. Ainsi, de 37 % (de ceux qui se déclaraient en bonne santé) à 68 % (de ceux qui considéraient leur état de santé comme mauvais) des médecins déclaraient souffrir de troubles du sommeil. Ces chiffres s’établissaient à 64 à 80 % pour le stress et à 72 à 95 % pour la fatigue.
Et vous docteur comment allez-vous ? Combien de fois avez-vous imaginé qu’un jour, vos patients pourraient inverser les rôles et vous interroger sur votre santé… ?
« Le Quotidien », en tout cas, va s’intéresser de très près à cette question en 2014, de façon régulière et sous toutes les facettes : la prévention, les soins et la maladie, la prise en charge médicale, les recours socio-professionnels…
Le sujet restant mal connu, vous pouvez participer à cette auscultation collective en répondant à notre sondage en ligne sur la santé des médecins. Sept questions simples portant sur votre suivi médical, votre comportement en cas de maladie ou encore vos aspirations vous sont posées. Votre collaboration permettra à ce nouveau rendez-vous d’aller plus loin. Nous vous en remercions par avance.
PARTICIPEZ À NOTRE ENQUÊTE SUR LA SANTÉ DES MÉDECINS
1) Jakoubovitch S, Bournot MC, Cercier E, Tuffreau F. Les emplois du temps des médecins généralistes. Drees Études et résultats, n°797, mars 2012
2) Estryn-Behar M, Caillard JF, Le Nézet O et coll. Santé, satisfaction au travail et abandon du métier de soignant.
3) Rapport d'activité 2012 de la CARMF
4) Field R. Do you have your own doctor, doctor ? Tackling barriers to health care. Br J Gen Pract. 2008 July 1 ; 58(552): 462–464.doi: 10.3399/bjgp08X302970
6) Desprès P, Grimbert I, Lemery B et coll. Santé physique et psychique des médecins généralistes. Drees Études et résultats, n°731, juin 2010
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