LE QUOTIDIEN : Comment est venue l’idée de proposer un complément de formation aux études médicales fondé sur le théâtre ?
Pr Marc YCHOU : Annoncer de mauvaises nouvelles aux patients – un cancer, une récidive, le passage aux soins de conforts… – est un moment très difficile, en particulier pour les plus jeunes médecins. Souvent mal à l’aise, stressés, ils délivrent un message d’annonce froid, technique, loin de l’humain. Ils se sentent alors déstabilisés, agressés par les réactions des patients et de leurs familles.
Les malades parlent pour leur part d’une violence ressentie, d’un traumatisme psychologique.
Annoncer la maladie de façon adaptée à chacun, à la fois empathique et tout en gardant une présence clinique objective et thérapeutique, s’intègre dans le cadre de la bientraitance des malades.
Notre idée était de donner aux plus jeunes des clefs et des outils pour garder leur altruisme naturel – élément clé de leur choix de carrière – et leur apprendre des techniques afin d’acquérir le recul nécessaire pour ne pas être trop pris dans les drames humains qu’ils sont et seront amenés à côtoyer. Toute cette dimension n’est jamais abordée au cours des études de médecine. En mûrissant, les médecins mettent en place des stratégies d‘approche, mais à quel prix ?
Il y a des choses que l’on n’apprend pas dans les livres, qui tiennent à l’humain, mais que l’on peut travailler en se mettant en situation. Et comment se mettre mieux en situation que face à des comédiens, aidé par un metteur en scène et guidé par un médecin expérimenté ?
L’annonce est une particularité de l’exercice en oncologie. Comment les jeunes oncologues vivent-ils cette situation ?
Il ne faut pas limiter la question de l’annonce aux seuls oncologues. Tous les médecins peuvent avoir à vivre au cours de leur carrière des situations de ce type.
Avec Serge Ouaknine, metteur en scène, nous avons réfléchi à un dispositif d’aide qui permette au cours des premières années de pouvoir expérimenter ces situations, non pas face à un malade – pour qui une mauvaise approche pourrait être destructrice – mais face à des comédiens sensibilisés à la question.
Nous souhaitons préparer les jeunes médecins, les former à annoncer des drames humains, des tragédies dans des conditions qui les protègent eux et qui protègent les patients et leurs familles.
Bien sûr, l’oncologie est une spécialité qui expose plus que les autres à des situations difficiles car elle traite de pathologies graves ayant un poids émotionnel particulier.
Les oncologues ont souvent une préoccupation de la relation encore plus aiguë que leurs confrères qui a prédestiné le choix de leur spécialité.
Nous avons choisi de développer deux types de formations, en collaboration avec la faculté de médecine, l’École nationale supérieure d’art dramatique de Montpellier (ENSAD), la ligue contre le cancer et le SIRIC (Site de Recherche Intégrée sur le Cancer) Montpellier-Cancer.
La première est destinée aux étudiants en médecine en deuxième cycle et elle est délivrée de façon obligatoire aux 240 étudiants de la faculté de Montpellier.
La seconde est plus spécifiquement adaptée aux jeunes oncologues en formation sur la France entière. Elle est proposée optionnellement au cours des premiers semestres de spécialité. Elle a lieu sous formes d’ateliers de 48 heures au sein dans les locaux de l’ENSAD.
En pratique, comment se déroule la formation ?
Nous leur expliquons tout d’abord que tout ce qui va être dit, leur attitude, leur présence va avoir un impact majeur dans le ressenti et la perception de l’annonce. Et que s’ils se sentent démunis, mal à l’aise, leur attitude peur générer des sensations d’angoisse chez le patient. Or, il est important de se comporter de façon à nouer une relation de confiance.
Après cette phase d’explications, nous proposons rapidement une mise en situation avec des comédiens (exercices de contacts, jeux de rôle). Notre but est de donner un accent de vérité aux consultations fictives afin d’oublier le public des autres étudiants et de se concentrer sur la relation avec le malade et sa famille.
Nous voulons former les médecins à leur qualité de présence. Leur faire toucher du doigt qu’au cours de l’annonce, le non-dit et la lecture du corps sont très importants du fait de leur valeur émotionnelle. Ce que le théâtre permet de toucher de doigt.
Le metteur en scène est là pour corriger l’attitude, la posture, la parole, la voix, le silence…
En tant que cancérologue, j’interviens dans la stratégie d’annonce.
Il faut apprendre à s’adapter à chaque situation, à chaque malade, à chaque famille, comme un acteur au théâtre réagir aux réactions du public.
Il n’y a pas de recettes valables pour tous, mais il faut toujours commencer par l’écoute et la réception des personnalités. C’est ce qui permet au médecin de prendre sa place, d’expliquer tout en restant ferme, sans être débordé par ses propres sentiments.
Pour les deux types de formations proposées, nous avons des retours très positifs des jeunes en formations, même si 10 % parmi les étudiants se déclarent réfractaires à ce type d’approche.
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