LE QUOTIDIEN : Comment la mission Fides (« confiance » en latin) s’est-elle mise en place au sein de l’AP-HP ?
ISABELLE CHAVIGNAUD : De longue date, il existait au sein de l’AP-HP une association « Amitié AP-HP » dont l’action de prévention de l’alcoolisme reposait sur un unique cadre de santé détaché de ses fonctions qui faisait le tour des services en fonction des besoins recensés. C’est en novembre 2006 que la mission Fides, mission institutionnelle qui dépend de la DRH de l’APH, a été mise en place par la directrice générale de l’époque à la demande du Pr Michel Reynaud, chef de service du département de psychiatrie addictologie à l’hôpital Paul Brousse.
Quels sont les buts de la mission Fides ?
I. Ch. ET PrØAMINE BENYAMINA : Le but de la mission est triple. Prévention, gestion des situations de crise, enfin, accompagnement à la prise en charge des personnes.
Des actions de sensibilisation de l’ensemble du personnel et de formation individuelle et collective des professionnels directement concernés par cette problématique ont été mises en place auprès des médecins de santé au travail, des assistants sociaux du personnel, de la DRH, des représentants du personnel. Progressivement, ces actions ont été proposées à un public élargi : psychologues du personnel, chef du personnel, cadres…
Une charte sur la prévention et la prise en charge des addictions pour les personnels a été établie et diffusée. Une réflexion sur l’automédication a aussi été menée, en particulier dans un contexte de service à risque (anesthésie-réanimation, psychiatrie, urgences) et des outils d’information ont été diffusés.
Un travail particulier sur la gestion de crises a été mené. Des recommandations de conduite ont été proposées et diffusées auprès des cadres afin de disposer d’outils pour faire face aux situations de crise.
Le personnel médical et non médical confronté à l’addiction de produits psychoactifs peut faire appel à la mission Fides pour un accompagnement et un soutien anonyme et hors du champ disciplinaire par le biais d’une ligne téléphonique dédiée (01 45 59 68 69, du lundi au vendredi de 9 heures à 13 heures et de 14 heures à16 heures).
Comment est organisée la mission Fides ?
I. Ch. et Pr A. B. : La mission Fides est co-pilotée par la DRH de l’AP-HP et par le Pr Amine Benyamina, psychiatre addictologue à l’Hôpital Paul Brousse. Elle se compose d’une unité de coordination avec un cadre socio-éducatif Isabelle Chavignaud, et deux psychiatres addictologues les Drs Sarah Coskas et Geneviève Lafaille qui se partagent un mi-temps médical.
Cette unité s’appuie sur toutes les structures relais qui existent à l’AP-HP : le CFC (Centre de Formation Continue), la collégiale d’addictologie de l’AP-HP, le réseau des assistants sociaux du personnel, le réseau des médecins du travail, l’équipe de la médecine statutaire, le CHSCT central et les CHSCT locaux.
De groupes locaux, issus des CHSCT locaux, ont été formés à la mise en œuvre d’actions de sensibilisation aux risques de consommation de substances psycho-actives. Ils organisent des journées de prévention, des formations spécifiques, réalisent des documents, mènent des réflexions…
Des plaquettes d’information ont été éditées où le personnel peut trouver un questionnaire qui permet de faire un point sur sa consommation personnelle ainsi qu’une liste de consultations à l’AP-HP ainsi qu’un focus sur le numéro d’appel de la mission.
Les médecins abordent-ils facilement ces problèmes ?
Pr A. B. : Ce sont ceux qui ont le moins recours à ce type de dispositif, pour deux raisons principales. D’une part, le médecin est la profession la plus incurique par définition puisque les médecins ne s’écoutent pas ; d’autre part, du fait de leur statut spécifique au sein de l’AP-HP, ils se sentent au-dessus des lois. Ces deux éléments font qu’ils tournent le dos à la mission Fides.
Le fait divers de la maternité de Orthez a conduit à une prise de conscience du risque chez les médecins, mais il semble plus que cette prise en compte soit conjoncturelle que réelle à long terme. Les médecins doivent encore être convaincus qu’ils ne sont pas au-dessus des lois.
Par ailleurs, les médecins ont très rarement recours à la mission Fides pour leurs collègues en difficulté car ils ont le sentiment qu’aborder ces questions peut mettre en péril l’avenir professionnel du collègue qui a passé 15 ans à devenir médecin.
Actuellement, le système hospitalier, et plus généralement de santé, n’est pas organisé pour entendre et traiter les médecins. Pour les aider à se soigner, il faudrait qu’ils aient des garanties d’anonymat et de retour à l’emploi après les soins.
C’est l’ensemble de ces raisons qui font que le problème d’addiction connu mais caché n’éclate que lorsque l’accident survient.
La mission Fides a choisi d’impliquer les instances telles que le CME par le biais du président le Pr Loïc Capron ainsi que les leaders d’opinion médecins au sein de l’AP-HP qui doivent se saisir de la question et en faire le relais. Nous proposons aux médecins de les aider en mettant à leur disposition un espace discret qui protège l’anonymat et la carrière.
Cette problématique replace deux questions auxquelles notre profession doit s’intéresser : celle de la sélection et celle de l’observation tout au long de la carrière. Pour moi, le diplôme de médecin est un peu comme un permis de conduire : ce n’est pas parce qu’on l’obtient un jour qu’on est apte à conduire toute la vie. Il faudrait un vrai suivi médical des médecins, au sein de la médecine du travail et plus encore dans la vie quotidienne.o
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