Comment passer d’un jeune adulte dont le quotidien est essentiellement centré sur la réussite à un concours pour lequel les capacités d’écoute ne sont même pas évoquées à un médecin doté d’une écoute empathique ?
C’est à cette question que l’équipe pédagogique de l’Université Pierre-et-Marie-Curie à Paris s’est attelée depuis quelques années dans un contexte d’inscription aux objectifs de l’ECN d’un approfondissement de la relation médecin/malade. Désormais, à la fin de leur formation initiale, les jeunes médecins doivent être à même d’expliquer les bases de la communication avec le malade et d’établir avec le patient une relation empathique, dans le respect de sa personnalité et de ses désirs.
Que s’est-il passé depuis des années pour que les enseignants en soient contraints à fixer des objectifs d’empathie aux jeunes médecins ? Un mode de sélection qui ne prend pas en compte l’interaction médecin/malade peut être.
Différentes pistes de développement de l’écoute des patients ont été proposées. Les ateliers d’écriture et de théâtre par exemple qui permettent la pratique de la « médecine narrative », capacité à reconnaître qu’un patient, au-delà des symptômes qu’il énonce, raconte une histoire et a besoin d’être écouté. Des consultations simulées, des jeux de rôle, des visionnages de consultations, des partages d’expérience en petit groupe peuvent aussi être un moyen de développer les capacités empathiques.
Un cursus d’écoute sur 3 ans
Comme l’explique au « Quotidien » le Pr Alexandre Duguet, vice-doyen de la faculté Pierre-et-Marie-Curie « l’écoute est une valeur essentielle dans le cursus des étudiants en médecine ». « C’est pour cette raison, poursuit-il, qu’un stage ultracourt de double écoute au sein de l’Association SOS Amitié a été développé depuis l'année universitaire 2014-2015 pour tout l'effectif des étudiants de deuxième année. Cette initiative s’inscrit dans un programme beaucoup plus vaste d’initiation à la relation de soin. Le format d’immersion ultracourte est ailleurs déjà utilisé dans cette même université pour les stages des étudiants de troisième année au SAMU Social (obligatoire) et au SAMU 75 (obligatoire) ainsi qu'à SIDA Info Service (facultatif) et au Collectif Féminin Contre le Viol (pour 98 % de la promotion). Nous avons choisi, en dialoguant avec des représentants de SOS Amitié, de proposer ce stage obligatoire au cours de la deuxième année de médecine, en raison des disponibilités rendues possibles par le programme pédagogique de l’année et afin de les préparer en amont de leurs stages d’externe où ils seront immanquablement confrontés à des situations émotionnelles où une communication de qualité leur sera utile. »
Le projet avait été expérimenté lors d'une première phase en décembre 2013 sur 10 étudiants de deuxième année. Les retours ayant été très bons, l'année suivante, en 2013-2014, il avait été proposé de manière facultative une double écoute de 4 heures au sein de l'association. Devant des appréciations positives des étudiants, le stage ultracourt a été rendu obligatoire – et non optionnel – pour la totalité de la promotion de deuxième année depuis l'année 2014-2015.
Une implication de l’association et des bénévoles de SOS Amitié
« L’association SOS Amitié et ses bénévoles ont été très proactifs dans la mise en place du stage. Les étudiants sont reçus par des bénévoles volontaires formés à la formation de futurs écoutants. Chaque étudiant se voit attribuer par l'administration de la faculté une date assortie d'un horaire pour une vacation obligatoire de 4 heures au sein d'un des centres parisiens de SOS Amitié », continue le Pr Duguet. « Durant cette vacation, l’étudiant assiste aux écoutes téléphoniques selon un système de "double écoute" : il écoute sans intervenir dans l’échange téléphonique entre les appelants et l’écoutant bénévole. Au terme des 4 heures, les étudiants reçoivent un polycopié précisant l’histoire et les missions de SOS Amitié fondées sur l’écoute empathique bienveillante non directive. L’étudiant et l’écoutant sont sollicités après la double écoute pour répondre à un questionnaire. »
Plus bénéfique que n'importe quel enseignement théorique
Que retiennent les étudiants de cette relation d’écoute pure ? « Proposer un temps suspendu consacré à l’écoute à des jeunes dont le but professionnel est de donner des conseils est une gageure. Leur permettre d’expérimenter cette approche est bien plus bénéfique que n’importe quel enseignement théorique, d’autant plus qu’à cette époque de leur cursus ils marquent un intérêt pour la pratique médicale mais n’en ont pas encore pris la mesure. On pourrait imaginer que les jeunes soient indifférents à cette approche ; mais ce n’est pas le cas, loin de là. Il s’agit de l’enseignement de premier et de deuxième cycle le plus plébiscité par les étudiants, juste derrière la simulation. Pourtant, l’enseignement est obligatoire, il doit s’accompagner d’une séance de discussion avec l’écoutant, d’un questionnaire et d’une analyse d’un cas marquant pour l’étudiant qui doit en être décrit par écrit avec un maximum de trois fautes d’orthographe. Pour les étudiants, qui parlent de première confrontation à la détresse, à la souffrance, ce stage est considéré comme "enrichissant", "très intéressant" et permettant de projeter des applications directes pour la pratique professionnelle et la qualité de vie. Les écoutants pour leur part soulignent que les étudiants étaient à l’heure, qu’ils étaient motivés, que leur attitude était adaptée, et que leur présence ne modifiait pas l’écoute. »
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